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avaient prodiguées lors de la guerre de Crimée. En favorisant ainsi l’extension de l’Union, la Russie voyait surtout l’avantage de multiplier les embarras de l’Angleterre, qu’elle laissait seule en Amérique, face à face avec un voisin redoutable et ambitieux. En 1867, elle cédait l’Amérique russe, comprenant 1,500,000 kilomètres carrés, aux États-Unis, moyennant 36 millions de francs, et les colonies anglaises se voyaient désormais enclavées au sud et au nord-ouest par le territoire américain.

Il importait de prendre, et sans retard, des mesures énergiques. Le gouvernement anglais le comprit. Il se hâta de donner aux provinces des satisfactions légitimes. Il rendit aux Canadiens français l’exercice légal de leur langue maternelle, s’appliqua à calmer les dissensions intestines et à doter le Canada d’une organisation nouvelle. L’année même où la Russie cédait complaisamment ses droits aux États-Unis, un acte du parlement Anglais décrétait la constitution de l’empire canadien, réunissait sous une administration commune les colonies d’Ontario, Québec, Nova-Scotia, Nouveau-Brunswick, auxquelles devaient bientôt se joindre le Minatoba, la Colombie britannique et les îles du Prince-Edouard. Une large part était faite dans l’administration générale et provinciale aux colons eux-mêmes par la création d’un sénat et d’une chambre des communes, nommés, le premier par le gouverneur général en conseil, la seconde par les électeurs sous des conditions de cens modérées. La construction de l’intercolonial railway, destiné à relier entre elles les diverses provinces et à développer leur commerce, fut également décidée, et la navigation du Saint-Laurent déclarée libre. Ces mesures habiles et opportunes étaient d’accord avec les vœux des colons ; mais tout en calmant leur mécontentement, elles avaient aussi pour résultat de les sortir de tutelle, de les mettre en demeure de s’administrer eux-mêmes et de relâcher, en les diminuant, les liens qui les unissaient à la métropole.

Si l’on examine attentivement le rôle de l’Angleterre dans les pays conquis ou peuplés par elle on sera frappé de ce fait, qu’après un temps plus ou moins long de domination anglaise, ils s’affranchissent graduellement, comme le font en ce moment l’Australie et le Canada, ou violemment, comme l’ont fait les États-Unis, et ne conservent rien de ses traditions que les théories de self-government et l’instinct mercantile. Malgré leur origine, malgré la communauté de langue et de religion, les États-Unis diffèrent profondément de l’Angleterre. Le Yankee n’a rien de l’Anglais, et sur nombre de pointe essentiels il en est la vivante antithèse. Son génie particulier, ses mœurs, ses habitudes sociales, ses idées sont autres ; autres aussi ses convictions et ses aspirations. Certes le climat, le