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l’unissent à la métropole se rompront d’eux-mêmes, soit violemment, par le fait d’une guerre extérieure, soit pacifiquement, par un consentement mutuel. De part et d’autre, instruit par l’expérience, on avance prudemment dans cette voie, et les hommes d’état de l’Angleterre ne se font à ce sujet aucune illusion.

Ils savent que l’acte constitutif de 1867 n’a plus laissé subsister entre l’Angleterre et sa colonie qu’un lien nominal. L’organisation d’un parlement, d’un ministère responsable, a consacré virtuellement l’indépendance politique du Canada. Le droit d’administrer les revenus publics, de voter et de percevoir les droits de douane, d’assurer le service de la dette nationale a inauguré l’indépendance commerciale et cimenté l’union des provinces par la communauté d’intérêts. Bien que le titre officiel du ministère soit encore celui de « conseil privé de la reine, » ses membres ne sont responsables que vis-à-vis du parlement canadien. Ils sont pris dans les rangs de la majorité, gouvernent avec elle et se retirent devant un vote hostile. En théorie, ils sont nommés par le gouverneur général ; dans la pratique, le rôle de ce dernier se borne à confier au chef de la majorité la mission de constituer un ministère et de choisir lui-même ses collègues. Le gouverneur général, délégué de la reine, n’a en réalité d’autres attributions que celle de veiller à la libre administration de la colonie, de convoquer le parlement et d’assurer l’exécution de ses votes.

La crise ministérielle que vient de traverser le Canada a mis en œuvre ces différens rouages gouvernementaux et en relief cette indépendance que voilent encore les titres pompeux dont vient d’être revêtu un gendre de la reine, le marquis de Lorne, époux de la princesse Louise. Au mois de septembre dernier ont eu lieu des élections générales ; lord Dufferin était alors gouverneur. Deux partis se disputaient le pouvoir ; l’un, dirigé par l’hon. Alexandre Mackenzie, premier ministre, l’autre par sir John Mac Donald, chef de l’opposition. La lutte électorale fut vive. Le gouverneur général n’avait pas qualité pour intervenir et se renferma dans une neutralité absolue. Sir John Mac Donald, adversaire déclaré du libre-échange, l’emporta sur son rival et conquit près de trente sièges. Mais il échoua lui-même à Kingston, sa ville natale, qu’il représentait depuis trente-cinq ans. Sa politique triomphait, la confiance de son parti et celle de la majorité du pays l’appelaient à prendre le pouvoir, mais la constitution exigeait qu’il fût membre du parlement. La ville de Marquette dans le Minatoba s’empressa de relire, et le 7 octobre le ministère Mackenzie remit à Ottawa sa démission entre les mains de lord Dufferin. Le même jour, le gouverneur général se rendait à Montréal auprès de sir John Mac- Donald et l’invitait à constituer un nouveau cabinet.