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mystiques sont d’intrépides argumentateurs, que rien n’embarrasse et qui, un bandeau sur les yeux, vont droit devant eux sans sourciller jusqu’au bout de leur raisonnement. Quand la postérité étudiera de sang-froid les glorieuses campagnes diplomatiques de M. de Bismarck et toute l’histoire de sa politique étrangère, elle paiera sûrement à son habileté consommée et à son génie le tribut d’admiration qui leur est dû ; maïs elle aura quelque peine à reconnaître en lui le héros de la restauration monarchique, un conservateur absolument orthodoxe, un légitimiste de la stricte observance, l’apôtre ou le pontife du droit divin, l’interprète dévot des volontés célestes, un de ces anges de lumière qui portent la livrée de l’agneau sans tache. M, Klee n’y voit pour sa part aucune difficulté, et voilà le privilège des yeux apocalyptiques.

Il admet bien que M. de Bismarck a paru faire quelquefois de la diplomatie révolutionnaire, mais il s’empresse d’ajouter que ce sont là de fausses apparences, qui ne trompent que les esprits frivoles, et qu’en s’attaquant à des droits héréditaires et sacrés M. de Bismarck ne songeait qu’à leur rendre service. Dès son avènement au pouvoir, il s’occupait de faire un seul faisceau de toutes les forces conservatrices de l’Europe ; il avait décidé qu’il n’y avait point de salut hors de l’alliance des trois empereurs, et à l’heure même où, assuré de la complicité de la France, il faisait audacieusement campagne avec l’Italie contre l’Autriche, il considérait les Autrichiens comme ses vrais amis, il prenait à cœur leurs intérêts, qu’il entendait mieux qu’eux-mêmes ; s’il les battait, c’était pour leur plus grand avantage, pour le bien et le salut de leur âme, conformément au proverbe qui dit que qui bien aime bien châtie. C’est ainsi que l’entendait déjà le grand Frédéric, quand il prenait la Silésie à Marie-Thérèse et que de son quartier général de Milkau il écrivait au conseiller de Borcke : « Vous devez faire tout au monde pour écarter de l’esprit du duc de Toscane et du ministère de Vienne toutes sinistres couleurs qu’on voudra peut-être donner à mon plan, et pour les persuader de son utilité et de la pureté de mes intentions, qui n’ont pour objet que leur véritable bonheur et conservation. » Quant aux petites couronnes qui ont payé les frais de la guerre et que le vainqueur a confisquées ou brisées sans scrupule et sans remords, on pourrait alléguer qu’elles étaient aussi authentiques, aussi sacrées et d’un or aussi pur que la couronne de Prusse ; les petites légitimités ne sont pas moins respectables que les grandes, et il n’y a pas de degrés dans le droit divin. C’est une considération à laquelle M. Klee n’a pas daigné s’arrêter ; il voit les choses en grand, les détails ne l’intéressent guère, et les petites couronnes sont des détails. De si bon aloi qu’elles puissent être, est-ce la faute du docteur Klee si elles sont un peu légères et partant à la merci dés vents et de ceux qui les déchaînent ?

Le sincère enthousiasme qu’il ressent pour son héros est cause qu’en