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d’établissemens ouverts à une si nombreuse jeunesse. Ce serait une étrange manière d’entendre le progrès ! Avant d’aller plus loin et de suivre le pétulant ministre qui se charge de régénérer l’instruction publique, qu’on réfléchisse un peu plus mûrement ; qu’on craigne de donner trop raison à M. de Falloux, qui vient d’écrire une étude si vive, si intéressante sur l’Evêque d’Orléans et qui disait un jour : « Tout ce qu’on donne à la république on ne le donne pas à la liberté, et tout ce qu’on donne au gouvernement on ne le donne pas à l’autorité. » C’est là justement la question qui s’agite dans ces projets assez mal conçus où s’essaie un dangereux esprit d’exclusion.

De toute façon, il est certain qu’il faut choisir. Si l’on veut revenir aux monopoles, à la direction administrative des esprits, à l’exclusion des dissidens, aux conditions d’un enseignement officiel dans l’intérêt d’un parti, d’une philosophie ou d’une secte, il faut le dire. On peut recourir à ces décrets de l’empire que Berryer appelait « une source impure » en défendant précisément un jour devant la justice M. Jules Ferry lui-même contre l’application d’un de ces décrets. On peut aller fouiller toutes les époques pour y puiser des restrictions et des prohibitions ; mais alors on n’aura pas le droit d’inscrire ce mot de liberté sur les projets qu’on présentera. Ce sera édifiant. M. le ministre de l’instruction publique aura la satisfaction de mener la campagne entre le prince Napoléon, grand défenseur du pouvoir civil contre l’église comme on sait, et le conseil municipal de Paris, qui fait la guerre aux frères, ou le conseil municipal de Lyon, qui supprime le bois pendant l’hiver aux enfans des écoles chrétiennes. — Si, s’arrêtant dans cette voie ou obéissant à une inspiration meilleure, on veut développer la liberté dans l’enseignement comme dans tout le reste, il faut en accepter virilement les conditions. C’est une étrange façon de témoigner sa foi à la société civile que de la croire en péril parce que quelques religieux présideront à l’instruction de la jeunesse dans un certain nombre de maisons dispersées en France. Il y a plus de dix ans déjà, en plein empire, M. Jules Simon disait avec une ferme et libérale raison devant le corps législatif : « La liberté d’enseignement est comprise, désirée, voulue comme toutes les autres. Elle reprendra avec toutes les autres son rang et ses droits. Personne ne la conteste plus en principe. Si on hésite, c’est qu’on a peur. On a peur de quelque chose ou plutôt de quelqu’un, et vous le dites tous en même temps que moi : on a peur du clergé. Je n’ai qu’un mot à dire, c’est qu’il n’est permis ni de nier le droit ni de reculer devant son application ; c’est qu’il n’est pas digne de ce grand pays ni des hommes qui croient encore à la toute-puissance de la vérité de se laisser gouverner par la peur. Cela n’est pas possible. » Est-ce qu’on peut avouer aujourd’hui sous la république qu’il faut rétrograder ? Assurément cela ne veut pas dire que l’état doive