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teutoniques, voyageurs arrêtés enfin aux bords de la Vistule, mêlent dans ce palais, où se confondent les architectures sarrasine, italienne et allemande, les souvenirs des monumens de Palestine, d’Allemagne et d’Italie ; moines armés pour la défense de l’église et devenus souverains, ils mettent leur effigie sur ce monument gigantesque, à la fois couvent, forteresse et palais.

C’est au château de Marienbourg que le grand maître des teutoniques transporta sa résidence dans les premières années du XIVe siècle. Les infidèles avaient enlevé aux chrétiens jusqu’à la dernière parcelle de la terre-sainte, et il avait fallu que les ordres chevaleresques quittassent le pays où ils étaient nés. Qu’allaient-ils devenir ? La croisade les avait produits, c’est-à-dire la guerre que fit aux infidèles détenteurs du saint-sépulcre la chrétienté entière, requise sans distinction dépeuples par son chef spirituel plus grand alors que l’empereur et les rois. Ces moines infirmiers et soldats, qui soignent les malades et les blessés, et si vaillamment pourfendent les Sarrasins, sont les vrais fils de l’église charitable et militante du moyen âge, comme était saint Louis, qui lavait les pieds des pauvres et voulait que, par manière de discussion avec les mécréans, on leur donnât de l’épée au travers du corps. L’esprit universel de l’église était en eux : du moins les hospitaliers et les templiers n’étaient d’aucun pays ; s’ils avaient une patrie, c’était la terre-sainte.

La terre-sainte perdue, les asiles ne leur devaient pas manquer : ils étaient pourvus en Europe de domaines innombrables, mais comme l’Europe était changée ! Au temps où naissaient les ordres militaires, la royauté française inaugurait sa fortune modestement : à Philippe Ier, le roi détrousseur de marchands, succédait Louis VI, qui fut un juge de paix et un gendarme, toujours courant par monts et par vaux, suant sous le harnais devant les forteresses, et fort admiré par Suger, lequel nous apprend avec orgueil qu’on redoutait son roi jusqu’au fond du Berry. Au temps où décline la fortune des chevaliers, celle de la royauté française est presque achevée ; Philippe le Bel est occupé à reprendre le royaume sur les Anglais et l’autorité royale sur la féodalité ; ses conseillers et lui portent au passé une haine froide et méprisent ceux qui en sont les représentans. L’empereur allemand s’avise-t-il de revendiquer de vieux droits sur les fiefs et villes du royaume de Bourgogne, Philippe répond à l’élucubration laborieuse de la chancellerie germanique par ces simples mots en latin, mais très français : « Nimis germanice, c’est trop allemand ! » Le pape veut-il usurper sur le pouvoir royal ? On sait quelles injures inouïes ont précédé l’attentat contre Boniface VIII. Le grand maître des templiers commit une imprudence quand il vint se livrer