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coude les unes contre les autres. Quelle est la raison de cette différence si profonde entre le régime des deux prisons ? Serait-ce que les effets de la promiscuité et de la contagion réciproque paraîtraient moins à redouter parmi les femmes que parmi les hommes ? C’est précisément le contraire. Il n’est personne qui ne sache et qui ne sente que, surtout dans la jeunesse, l’action des mauvaises influences s’exerce plus facilement encore sur les femmes que sur les hommes. La raison est tout simplement que Mazas est une prison relativement nouvelle qui a été construite pour l’application du régime cellulaire, tandis que Saint-Lazare est une vieille prison dont les aménagemens intérieurs ne se prêtent pas à la mise en pratique de ce régime. Ainsi c’est une question d’architecture qui dans un grand pays comme la France, et dans Paris la ville modèle, décide souverainement de cette question si grave : le rejet ou le maintien du régime cellulaire ou du régime en commun.

Le régime en commun une fois admis, une surveillance exacte permet-elle du moins d’empêcher entre détenues les conversations et les confidences ? Malgré la présence constante d’une sœur qui, assise dans une sorte de chaire, domine les rangs pressés des femmes, il n’en saurait être ainsi dans l’atelier des prévenues qui, travailleuses volontaires, peu façonnées à la discipline, moins complètement rompues à ses exigences que les condamnées, n’ont qu’une idée en tête : se conter l’une à l’autre leur affaire et s’interroger sur leur passé. Aussi ceux que l’exercice de leurs devoirs professionnels ont mis fréquemment en rapport avec les prisonnières de Saint-Lazare savent-ils parfaitement combien les prévenues sont informées de ce qu’on pourrait appeler les cancans de la maison, et combien il serait facile de se les faire raconter par elles dans leurs menus détails. Mais ce qu’il serait moins facile de savoir c’est à quel degré l’influence corruptrice des plus âgées s’exerce sur les plus jeunes, et combien le proxénétisme fait de recrues parmi les débutantes dans la carrière de la mendicité ou du vol.

La surveillance exercée sur les condamnées est peut-être un peu plus stricte. Les ateliers sont plus spacieux, les détenues moins entassées les unes sur les autres. Les condamnées de seize à vingt et un ans sont réparties un peu au hasard dans tous les ateliers, mais employées de préférence dans l’atelier de couture à la mécanique, occupation qui exige de bons yeux et une certaine vigueur. Dans cet atelier l’activité du travail, auquel on a le droit de contraindre les détenues et le bruit incessant des machines opposent peut-être un certain obstacle aux communications constantes. Mais là où condamnées aussi bien que prévenues retrouvent toute facilité de s’épancher, c’est au dortoir. Les dortoirs de Saint-Lazare