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compassion ? Aussi elle est bien charmante et bien profonde, cette expression de nos pères qui disaient en parlant de leurs enfans au collège : « Il fait son cours d’humanité. »

Cette sympathie humaine provoquée par l’art est un des plus doux sentimens qu’on puisse éprouver, car la bienveillance est une douceur non-seulement quand on en est l’objet, mais encore quand on l’accorde aux autres. Et combien cette sympathie s’élève et s’ennoblit lorsqu’il nous est donné de contempler dans une belle œuvre l’image épurée de l’humanité et qu’à une sorte d’amour s’ajoute l’admiration ! Combien aussi ce sentiment prend plus d’énergie dans une foule, au théâtre, quand l’émotion de chacun est multipliée par celle de tous et que toute rassemblée bat d’un seul cœur ! Si on pouvait alors pénétrer d’un regard dans toutes les âmes réunies, on aurait un spectacle aussi beau que celui de la scène, le spectacle d’un enthousiasme commun pour la vertu et la venté, et aussi le spectacle d’un immense bonheur ; car l’émotion littéraire a pour effet de précipiter notre sang, de nous avertir que nous vivons, comme l’a dit un poète :

Plus je sens vivement, plus je sens que je suis.


Nous éprouvons même je ne sais quel noble et indéfinissable orgueil ; nous prenons meilleure opinion de nous-mêmes ; nous sommes fiers de sentir et de comprendre de si belles choses, fiers aussi de les entendre applaudir, et, comme si nous en étions l’auteur, nous nous laissons inonder de joie et de gloire. Il est impossible de ressentir ces naturels transports sans sortir de soi, sans s’élever au-dessus de soi-même, sans que cette exaltation, ce soulèvement ne rompe pour un moment les mille petits liens égoïstes qui nous attachent à nos intérêts. La plus rare des vertus, l’esprit de sacrifice, nous envahit en de pareils instans et nous fait croire que nous aussi nous pourrions être des héros. Il n’est pas de placide spectateur qui ne se sente effleuré par ce souffle généreux. Tous les peuples, du reste, ont compris que l’art éveille cette puissance du sacrifice qui dort en nous, et voilà pourquoi, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, on entraîne les courages au son de la musique ; c’est elle qui se charge de verser aux soldats le mépris ou l’ivresse de la mort. Ce serait l’objet d’une longue étude que de marquer les divers et infinis sentimens que font éprouver les arts et qui sont diversement éprouvés selon le degré de culture. Chacun les exprime à sa façon, et tandis qu’un homme raffiné a dit qu’il se sentait devenir meilleur après avoir longtemps contemplé l’Apollon du Belvédère, la foule ignorante, qui ne peut exprimer ses idées confuses, laissera voir du moins, en entrant dans un musée, par