Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/895

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

infranchissable en hiver, à présent toute desséchée. Ce n’est plus la gorge étroite qui précédait El-Kantara et ce n’est pas encore le grand désert dans toute sa beauté. Le jour paraît, mais le soleil, qui se lève derrière les Aurès, ne se montre que longtemps après. La cavalcade qui nous accompagne fait halte souvent pour attendre que notre voiture l’ait pu rejoindre ; le groupe qu’elle forme est noble et pittoresque, et le paysage, que j’ai critiqué d’abord, produit, comme fond du tableau, des effets très africains. Le soleil est bien le regard de cette nature ; il la transforme, il l’anime, il lui donne la couleur et la vie. Aussitôt qu’il a dépassé le rempart qui nous le cachait, tout se colore, tout semble sourire ; les horizons s’éloignent, les ombres s’allongent, donnant du relief aux moindres objets en saillie. Sa chaleur nous fait sortir de l’engourdissement où nous étions plongés. Les chevaux des cavaliers qui nous guident sont bientôt ruisselans de sueur. Le cheval alezan est trop précieux pour le fatiguer inutilement ; Si-Mohamed monte sur celui de l’un de ses serviteurs et laisse un Arabe à pied pour ramener le sien au petit pas. Sa belle croupe reluit au soleil ; sa bouche laisse tomber des flocons d’écume sur le sable, il est encore plein d’ardeur, malgré la longue course qu’il a déjà fournie les jours précédens pour amener son maître du fond des Zibans à notre rencontre.

Toujours suivant cette vallée, qui l’hiver, dit-on, est arrosée et verdoyante, nous arrivons au ksar, ou caravansérail d’El-Outaya. La rosée abondante de la nuit a laissé dans le terrain sablonneux qui commence en cet endroit des flaques d’eau que le soleil fait évaporer peu à peu. El-Outaya est la dernière zone humide. au delà du Djebel-Sfa, il n’est pas tombé une goûte de pluie depuis dix-huit mois. Il est environ neuf heures du matin ; nous ne devons pas nous arrêter longtemps au village d’El-Outaya, dont nous apercevons le minaret carré. Un grand verger, planté d’arbres fruitiers de France, montre à peu de distance son aspect désolé. Il a été dévasté pendant la dernière insurrection, mais l’indemnité que le gouvernement a remise au colon qui en était propriétaire dépasse de beaucoup ce qu’il aurait jamais espéré en tirer de tout autre manière.

Le kaïd de Biskra, averti de notre arrivée, avait envoyé sa propre voiture et une voiture de louage à El-Outaya afin de nous amener tous à Biskra, nos chevaux de Batna ne pouvant aller plus loin. Après avoir pris le temps de charger nos valises sur les voitures. nous y montons nous-mêmes ; les dames dans la calèche du kaïd conduite par un cocher nègre vêtu d’une veste à ramage rouge et jaune, et les hommes dans un char à bancs. Sur le char à bancs monte le cheik du village d’El-Outaya, qui se rend à Biskra pour nous faire rôtir le fameux mouton indispensable au repas arabe