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songer à dormir lorsqu’on a tant de choses curieuses et nouvelles en perspective ? Je passe la plus grande partie de la nuit debout à ma fenêtre à barreaux entre-bâillée, un éventail arabe à la main dans la crainte des moustiques, que je n’ai du reste pas aperçus, et à cinq heures du matin, vêtue simplement d’un peignoir, je vais sur le pas de la porte de ma chambre jouir des premières splendeurs du matin. C’est l’heure la plus agréable de Biskra en cette saison. Rien n’était encore en mouvement dans l’hôtel. J’étais absolument seule dans l’étroit jardin dont les petites treilles, malgré le soleil déjà brillant, conservaient encore quelques perles d’une faible rosée. On perdrait sa peine en voulant décrire les qualités de l’atmosphère d’une manière assez précise pour en donner une idée à ceux qui ne l’ont pas eux-mêmes appréciée. Mais pour ma part je pensais, en respirant à pleins poumons cette douce fraîcheur, cet éther embaumé, cet air transparent qui ne semblait pas peser sur mes épaules plus qu’une aile de papillon, qu’il est impossible de rêver un élément plus idéal pour les habitans du paradis. Ce moment de la journée est malheureusement de courte durée, et personne autre que moi dans l’hôtel ne songeait à en jouir. Pendant que je me promenais sous la treille, une belle négresse, grande et svelte, revint du marché apportant les provisions ; elle déposa à terre un dindon, d’autres volailles et une de ces exquises pastèques qui dans ces contrées chaudes peuvent rivaliser avec les melons. Elle aurait fait, ainsi encadrée, un sujet plein de pittoresque pour un peintre, avec son petit voile de mousseline blanche posé négligemment autour de sa tête, un bout rejeté sur une épaule et couvrant le bas de son visage, ses bras nus couverts de cercles d’argent et de corail qui ressortaient avantageusement sur sa tunique de toile bleue. Sa petite fille, qui pouvait avoir dix ans, la rejoignit bientôt. Je fus frappée de la finesse de ses traits, quoique sa peau fût parfaitement noire ; elle était vêtue comme sa mère, et ses mouvemens étaient empreints de grâce et de naturel.

C’est dans les oasis riches du Zab que se trouvent les beaux nègres. Les grandes familles arabes se font servir par eux. Ce sont aujourd’hui les fils des esclaves, l’esclavage ayant été détruit par la conquête française. Il n’était cependant pas dur chez les Arabes. L’esclave avait droit de porter plainte devant le kadi lorsqu’il avait été en butte à de mauvais traitemens, et il pouvait contraindre le maître dont il avait à se plaindre à le vendre à un autre. Il faut convenir que souvent la condition de l’esclave bien traité et appartenant à une famille riche était infiniment plus heureuse que celle qu’il venait de quitter dans son propre pays sous la domination de quelque roi féroce. Mais le principe lui-même est mauvais, et on a