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observations personnelles a conduit M. Trollope à prendre une position intermédiaire entre les détracteurs à outrance qui nient résolument tout avenir à ces colonies, et les optimistes déterminés qui s’opiniâtrent à croire que là comme partout ailleurs l’étoile de l’Angleterre ne peut pas pâlir. Aux premiers, il fait judicieusement observer que l’opinion publique a été gâtée par le succès de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, et que toutes les colonies ne peuvent pas être dans des conditions aussi faciles ; aux seconds, il expose les obstacles très particuliers que rencontre cette œuvre de colonisation et énumère les fautes déjà commises et qui peuvent la compromettre. En dépit de son patriotisme prudent, les conclusions auxquelles il conduit pas à pas son lecteur ne sont pas exemptes de sévérité et d’inquiétude. Ces conclusions, c’est que le gouvernement britannique s’est montré maintes fois plus à sa louange que dans ses relations avec les colons Hollandais, qu’il a posé le pied sur d’autres points du globe singulièrement plus avantageux pour ses nationaux, que l’avenir de la colonie, sans être menacé, est loin d’être assuré, et qu’enfin l’Afrique australe, en dépit de son étendue, sera toujours une médiocre acquisition, si l’Angleterre n’y prépare pas un important chapitre de l’histoire future de l’humanité en ouvrant au monde noir les portes de la civilisation. Ce sont ces critiques qu’il nous a paru utile de présenter à nos lecteurs sans vouloir en tirer aucune conséquence prématurée ou téméraire. Les corps les plus vigoureux ont leurs faiblesses, les astres les plus éclatans leurs taches, et il serait plus qu’extraordinaire sans doute qu’il n’apparût pas de temps à autre quelques phénomènes de fâcheux augure ou quelques éclipses d’heureuse fortune à la surface du plus colossal empire que le monde ait connu depuis les Romains ; néanmoins dans la période d’attente anxieuse où nous sommes entrés, et que nous sentons grosse de menaces, il devient d’année en année plus important de savoir à quoi nous en tenir sur l’état vrai de nos civilisations européennes, et d’en connaître les pailles les plus secrètes et les plus imperceptibles fêlures. Il y a trois ans, M. Dixon, dans son livre de White Conquest, exprimait avec une vivacité exceptionnelle les craintes qu’il éprouvait pour l’avenir de notre civilisation, et voilà qu’aujourd’hui nous retrouvons chez M. Trollope quelques-unes des mêmes appréhensions exprimées avec une sagesse et une prudence qui repoussent toute idée de paradoxe.

Le coup d’œil le plus sommaire jeté sur les colonies de l’Afrique australe suffit à nous montrer à quel point elles diffèrent des autres établissemens coloniaux de l’Angleterre et combien sont plus complexes leurs conditions d’existence. L’Australie, la Nouvelle-Zélande, les colonies d’où l’Union américaine est sortie, ont été et