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la manière de comprendre les relations entre les blancs et les tribus africaines. Exposer ce double dissentiment, c’est résumer l’histoire entière de la colonie, car elle ne contient aucun fait qui ne s’y rapporte directement.

L’esclavage avait été introduit au Cap dès les premières années de la colonie, et les boers s’étaient attachés sans peine à une institution qui assurait à leur travail des conditions d’économie dont leur avarice s’accommodait à merveille. Ils semblent l’avoir pratiqué en toute naïveté, comme chose naturelle et allant de soi, avec une pleine tranquillité de conscience et un égoïsme exempt de cruauté. Grand fut donc leur émoi lorsqu’en l’année 1811 le gouvernement britannique, qui préludait timidement encore à cette croisade de philanthropie qu’il a depuis fait triompher sur le globe entier, promulgua certaines lois pour la protection des esclaves. Une révolte éclata ; elle fut cruellement réprimée, et avec un de ces raffinemens de rigueur que n’oublient jamais les populations qui les subissent. Cinq des principaux coupables furent condamnés à être pendus, tandis que leurs proches étaient condamnés à assister à l’exécution, et ils furent pendus, non une seule fois, mais deux, la potence s’étant brisée sous leur poids avant que l’agonie eût commencé. Une pareille rigueur n’était pas pour diminuer l’attachement des boers à une institution dont le maintien se confondit dès lors chez eux avec la cause même de leur indépendance. La querelle alla donc s’envenimant d’année en année, et lorsqu’en 1834 l’Angleterre décréta l’abolition de l’esclavage dans toutes ses colonies, les boers annoncèrent la résolution, qu’ils accomplirent peu de temps après, de se soustraire par tous les moyens à des lois qui portaient atteinte à leurs droits les plus chers. Ce qu’il y a de très instructif dans cette querelle, c’est que cette prédilection pour l’esclavage se soit rencontrée chez une population démocratique de laboureurs et de pasteurs à laquelle il serait difficile d’adresser les reproches d’aristocratisme qu’on n’a pas ménagés aux possesseurs d’esclaves des autres pays, ce qui prouve très suffisamment que les mauvaises institutions ne sont pas le privilège d’une seule classe, mais sont, selon les circonstances, du goût de toutes les conditions sociales. Or l’esclavage était tellement du goût des boers qu’aujourd’hui encore ils y ont une pente presque invincible, et le rétablissent sous des formes plus ou moins ingénieuses partout où la surveillance anglaise ne les atteint pas. Le grand homme des boers, André Prétorius, fondateur de la république du Transvaal, l’admettait comme le droit naturel de l’homme blanc et la volonté expresse de Dieu à l’égard de la race noire. Les boers du Transvaal et de l’état d’Orange n’ont plus d’esclaves officiels ; mais, fidèles aux leçons de leur chef, ils ont tourné la