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chaque peuple a son arithmétique pratique comme ses mœurs.

La vie que mènent les boers dans ces intérieurs est faite à leur image morose. Les voisins sont rares et éloignés, et nous avons dit que le boer ne les recherche pas. Aussi pas de veillées, pas de commérages, ni de contes au coin du feu, de chants ni de danses ; c’est à peine si les garçons et les filles d’un même district ont l’occasion de se rencontrer deux ou trois fois par année et de se livrer aux exercices chers à toute jeunesse. La lecture n’est pas non plus au nombre de ses distractions ; une vieille Bible hollandaise, et quelques livres de prières et de cantiques composent toute sa bibliothèque. Le boer n’est pas un lettré et se refuse à le devenir par les nouvelles méthodes. Savoir lire pour prier Dieu et subir l’examen du catéchisme, préface obligée du sacrement de confirmation sans lequel le mariage ne peut être contracté plus tard, est toute la science qu’il désire pour ses enfans : une des raisons qui dans les dernières années du libre Transvaal avait le plus éloigné les boers de leur président Burgers c’étaient ses plans d’éducation laïque et obligatoire à la manière européenne. Les enfans peuvent difficilement d’ailleurs fréquenter les écoles, les centres étant trop peu nombreux et les distances trop grandes. Pour obvier à, cet inconvénient, des maîtres d’école ambulans parcourent les campagnes et donnent aux enfans des leçons trop espacées pour être très fructueuses. Quelquefois, lorsque le boer est riche ou fait exception au vice d’économie de sa race, il prend un maître d’école à demeure. M. Trollope en rencontra un dans une ferme du Transvaal qui avait été engagé au prix de 12 livres sterling par mois, nourriture et logement en sus, rétribution qui serait fort honnête ailleurs que chez une population avare. Il est probable toutefois que la besogne de ce précepteur était en proportion de son salaire, c’est-à-dire qu’il avait plus d’un écolier à instruire, car les familles sont généralement nombreuses, les boers se mariant fort jeunes et ne restant jamais veufs. La manière dont, selon M. Trollope, ils font l’amour et accordent leurs fiançailles est originale et vaut d’être rapportée. Lorsqu’un garçon se décide à se marier, il dresse une liste de toutes les jeunes filles des districts environnans, met une plume à son chapeau, monte à cheval et commence sa tournée d’amour. Arrivé au logis qu’il s’est proposé de visiter en premier, il entre sans mot dire et exhibe de sa poche une boîte de prunes confites, friandise très recherchée dés boers, et une chandelle de cire, langage symbolique que la mère et la fille comprennent à l’instant. Les prunes sont pour la mère, et elles ne sont jamais refusées ; la chandelle est pour la jeune fille, et elle est quelquefois repoussée ; dans ce cas, le galant remonte à cheval sur l’heure et reprend sa tournée. Si la chandelle est acceptée, elle est allumée