Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/962

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Son histoire est celle d’un pays qui, avec sa position, avec ses ressources, avec la fertilité de son sol, avec son isthme devenu la grande route du commerce universel, pourrait être une région privilégiée, et qui est conduit à la ruine, à la banqueroute par les vices de son gouvernement, par tous les caprices de dilapidation, par les exactions et les oppressions qui pèsent sur ses intérêts économiques. Lorsqu’il y a deux ou trois ans Ismaïl-Pacha, perdu dans les désordres de son administration, à bout d’expédiens et assailli de réclamations, s’est adressé à l’Angleterre et à la France comme à ses protectrices naturelles, en leur demandant leur appui et leurs conseils, en se mettant en quelque sorte sous leur tutelle, on pouvait croire qu’il était décidé à changer de voie. L’Angleterre et la France, oubliant d’anciennes rivalités, mettant en commun leur bienveillance pour l’Égypte ou guidées par des considérations de diverse nature, ont cru pouvoir accepter la mission compromettante qui s’offrait à elles. En assumant une responsabilité si singulière, elles ne pouvaient faire moins que d’exiger des sûretés et des garanties. Elles se sont fait représenter plus ou moins directement dans les conseils du vice-roi, elles lui ont donné ou imposé, l’une un ministre des finances, M. Rivers Wilson, l’autre un ministre des travaux publics, M. de Blignières. En échange de leur intervention protectrice, elles avaient le droit de commencer par une vaste enquête sur l’Égypte, de prendre l’initiative des réformes nécessaires, de procéder au remaniement des impôts, à la liquidation des dettes aussi nombreuses que compliquées. Elles ont fait tout cela ou du moins elles se sont proposé de le faire et elles ont cru mettre ainsi à l’abri un des points les plus importans de l’Orient.

C’était, à vrai dire, une entreprise fort douteuse et même acceptée un peu légèrement. Pour l’Angleterre et la France, c’était une intervention de bonne volonté, intéressée dans une certaine mesure, si l’on veut, mais après tout utile à l’Égypte. Pour le vice-roi, ce n’était visiblement qu’un expédient accepté ou subi dans un moment d’embarras. Le khédive s’est prêté à tout tant qu’il a cru y voir son intérêt ou un moyen de prolonger l’illusion de l’Europe à son profit. Il n’a pas tardé à vouloir s’émanciper de nouveau ; il a commencé à ruser avec ce protectorat qui menaçait de le forcer à gouverner régulièrement, et le dernier mot de cette comédie, à laquelle il s’essayait depuis quelque temps, est le congé qu’il vient de donner brusquement à M. Rivers Wilson et à M. de Blignières, sans avoir même communiqué ses intentions à Paris et à Londres. Il a fait sans consulter personne son coup d’état ou son coup de théâtre ! Ce qu’il y a de plus étrange, c’est le prétexte qu’a invoqué Ismaïl-Pacha. M. Rivers Wilson, procédant en homme sérieux et tenant à ne promettre au nom du trésor égyptien que ce qu’il pourrait donner, proposait de régler la dette en demandant franchement aux créanciers quelques sacrifices. C’était sans contredit une banqueroute, mais une banqueroute partielle, compensée par