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Laisser entrer dans la cité sainte le violateur des lois, le profanateur des mystères ! À la seule pensée d’un si grand sacrilège, les prêtres de Cérès se répandaient en imprécations. « Mais, répliquaient les partisans du puissant banni, pouvez-vous indiquer un autre moyen de sauver la république ? D’où vient la prépondérance assurée désormais à la flotte du Péloponèse ? Des subsides du roi. Déposez donc des haines impolitiques ; rappelez Alcibiade, puisque Alcibiade seul en ce moment est capable de faire passer de votre côté l’alliance qui constitue la force de vos ennemis. Il faudra peut-être changer pour quelque temps la forme du gouvernement, abandonner l’exercice du pouvoir à un petit nombre de citoyens, afin d’inspirer plus de confiance au roi. Nous ne tarderons pas à revenir à nos institutions premières ; le sacrifice ne sera que passager, et qui pourrait hésiter à le subir, lorsqu’il est démontré qu’en dehors de cette ligne de conduite il n’est pas pour l’état menacé de salut ? » Parler d’oligarchie au peuple d’Athènes, c’était montrer une singulière audace ; le peuple cependant ne s’indigna pas. Il est des heures d’accablement moral où les nations peuvent tout entendre. On osa décider que le chef apparent de cette intrigue, Pisandre, partirait avec dix collègues pour séduire Tissapherne et ramener, s’il réussissait, Alcibiade.

Tissapherne n’avait qu’une idée : obtenir l’abandon de l’Ionie et des îles adjacentes. Les Lacédémoniens refusaient d’y souscrire ; ce fut la première exigence que rencontrèrent les Athéniens. Sur ce point délicat, Pisandre et les dix commissaires qu’on lui avait adjoints ne se révoltèrent pas encore ; lorsqu’à la troisième conférence Alcibiade réclama pour le roi le droit d’expédier ses vaisseaux dans les ports de la Grèce et de les y faire accueillir en alliés, le piège parut trop grossier, l’indignation d’Athènes trop probable ; les pourparlers se rompirent, et Tissapherne se montra plus disposé que jamais à rendre sa faveur et ses subsides aux Lacédémoniens. Alcibiade avait été l’âme de ces négociations ; la crainte d’indisposer Tissapherne l’arrêta en chemin. Il dut, quelle que fût sa pensée secrète, se montrer plus soucieux des intérêts des Perses que de la dignité, de la sécurité même de sa patrie. Le parti oligarchique résolut alors de se passer de son concours. L’homme nécessaire devint, à l’instant, l’homme fatal. Était-ce bien sur un tel personnage que l’élite de la population devait s’appuyer ? Un noble mouvement de fierté nationale sembla transporter ces Grecs qui n’étaient pas encore les Grecs du Bas-Empire ; l’insolence de l’étranger les rendit à eux-mêmes. Que le roi de Perse garde son or, les conjurés prendront sur leur propre fortune l’argent dont on a besoin pour le paiement de la solde. Le premier devoir de tout bon citoyen est de songer à pousser la guerre avec vigueur ; vainqueur