Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

patrie et lui servît de garant près du peuple d’Athènes. Les subsides alors ne manqueraient pas. Tissapherne ferait, au besoin, argent de son propre lit. Ce n’était pas aux Lacédémoniens qu’il amènerait la flotte phénicienne, c’était aux Athéniens devenus ses amis le jour où ils rendaient leur confiance à l’exilé qui possédait la sienne. » Le grand art ne serait-il pas en politique de savoir ce qu’on peut demander sans crainte à la crédulité des foules ? On peut aller beaucoup plus loin dans cette voie que ne le suppose généralement le vulgaire. Le succès qu’obtint Alcibiade à Samos en est la preuve. Les soldats l’élurent sur-le-champ général et lui remirent le soin de punir les quatre cents. Ils voulaient à l’instant faire voile vers le Pirée ; Alcibiade les retint. « Lui seul, dit Thucydide, était capable de rendre ce signalé service à sa patrie. » Il est triste de penser qu’Alcibiade pût encore mériter la reconnaissance d’Athènes ; le fait néanmoins est incontestable. Le départ de la flotte livrait sans coup férir aux Lacédémoniens l’Ionie et l’Hellespont. L’intérêt d’Alcibiade se confondait, il est vrai, en cette circonstance avec l’intérêt de la république. S’il ne restait plus que des vaisseaux lacédémoniens dans les eaux de l’Asie, que devenait la politique de bascule à l’aide de laquelle on avait jusqu’alors réussi « à faire peur aux Grecs de Tissapherne, à Tissapherne des Grecs ? » N’était-ce pas dans ce jeu habilement conduit que consistaient surtout l’importance et, par contre, la popularité du nouveau général ?

L’attitude prise par la flotte de Samos ruinait les espérances des quatre cents. L’oligarchie athénienne n’avait plus qu’une ressource : ménager à tout prix un accommodement avec Lacédémone. Irait-elle jusqu’à livrer la ville à l’ennemi ? On l’accusait déjà d’en nourrir la pensée. Tout à coup une flotte de quarante-deux vaisseaux, commandée par le Spartiate Hagésandridas, fait son apparition dans le golfe d’Égine. Signalée bientôt à Mégare, on l’aperçoit longeant la côte de l’île de Salamine. Plus de doute ! Cette flotte est appelée par la trahison. Les citoyens courent en masse au Pirée ; les uns s’embarquent, les autres lancent à la mer les vaisseaux qui demeurent encore à sec sur la plage. Les murs, l’entrée du port se garnissent de défenseurs. Zèle bien superflu ! émotion bien vaine ! La flotte du Péloponèse a sa destination et cette destination n’est pas le Pirée. Hagésandridas continue de ranger les rivages de l’Attique, double le cap Sunium et va jeter l’ancre devant Oropos, dans le canal de l’Eubée. Oropos est en face d’Érétrie.

L’Eubée menacée, c’était quelque chose de plus grave encore que l’Attique envahie. Le gouvernement des quatre cents se hâte de diriger sur Érétrie les vaisseaux du Pirée. Timocharès part avec cette flotte dont la composition ne rappelait guère les armemens des beaux jours de la république. Oropos n’est séparé d’Érétrie