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a brusquement changé son ordre de file en ordre de front et pivote, en ce moment même, sur le vaisseau de gauche. Mindaros s’aperçoit à temps du danger qu’il court; les Athéniens manœuvrent pour l’envelopper. Il rallie précipitamment ses vaisseaux, se reporte à toutes rames sur la côte d’Asie et ne cesse de remonter la côte que lorsqu’il se sent protégé par les remparts d’Abydos. Thrasylle n’a plus à combattre que les vaisseaux syracusains. Il marche droit sur eux par une conversion rapide et les met en fuite. Les Athéniens avaient, dans la première période du combat, perdu quinze vaisseaux; dans la seconde ils en prirent vingt et un. Telle fut la glorieuse journée de Cynosséma. Le succès matériel était insignifiant, le succès moral fut immense. Athènes recouvrait l’ascendant perdu depuis deux ans; la mer redevenait tout à coup son domaine.

Cyzique, dans la Propontide, s’était insurgée ; le combat de Cynosséma suffit pour la faire rentrer dans le devoir. La reprise de Cyzique termina la campagne de l’année 411. Le nouveau gouvernement s’empressa de porter à son compte un succès dont il lui était cependant difficile de s’attribuer le mérite, car le temps même lui aurait manqué pour le préparer. Les peuples n’y regardent pas généralement de si près; la victoire remportée par les deux triérarques qui avaient le plus contribué à la chute des quatre cents affermit pour longtemps la prépondérance du parti populaire.


IV.

Alcibiade n’avait pas encore combattu, il avait beaucoup intrigué. Cet enfant gâté de tous les partis revient enfin de Caunes et de Phasélis. La flotte phénicienne n’ira pas rejoindre les Péloponésiens, Alcibiade a détourné Tissapherne de ce projet; les dispositions du satrape, à l’entendre, sont plus que jamais favorables aux généraux d’Athènes. Nous allons donc voir le fils de Clinias se mettre enfin à la tête de son armée, prendre sa place entre Thrasybule et Thrasylle ? Le fils de Clinias a d’autres desseins. On a vu Doria posséder en propre des galères, les mettre au service de Gênes, les louer tantôt à François Ier, tantôt à Charles-Quint; Alcibiade paraît avoir joui du même privilège. Il faut moins le considérer comme un général athénien que comme un condottiere sans patrie, qui fait la course ou la guerre au nom de celui des belligérans vers lequel tour à tour il incline. Alcibiade a, comme Miltiade, son château fort dans la Chersonèse. C’est une retraite, — disons mieux, un repaire, — qu’il s’est ménagé. Nous lui avons connu treize vaisseaux, il en équipe neuf autres. Avec cette escadre, il se reporte vers le sud, opère une descente sur la côte