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dans leurs mains. Nous autres modernes, nous les aurions blindés! Mais voici maintenant qu’on se joint corps à corps. Les piques et les épées ont été de tout temps des armes doriennes ; faut-il donc s’étonner si la fortune d’Athènes en ce moment chancelle? Tenez bon, soldats de Doriée, ne reculez pas encore, vaillans équipages de Thrasylle ! Le destin n’a pas dit son dernier mot. Qu’aperçoit-on au loin, là-bas, vers le promontoire Sigée, du côté de l’entrée du détroit? Ces points noirs qui grossissent, ne vous y trompez pas, ce ne sont point des barques de pêcheurs, ce sont des vaisseaux. Déjà on en peut compter dix-huit. Les deux flottes s’arrêtent, suspendues entre l’espoir et la crainte. Bon courage, Mindaros ! N’as-tu pas demandé les vaisseaux de l’Eubée? Ces vaisseaux, hélas ! ne reviendront jamais se ranger sous la bannière du navarque de Sparte, une tempête les a tous engloutis à la hauteur du mont Athos. Mindaros multiplie les signaux de reconnaissance ; le seul signal qui réponde aux siens, c’est un pavillon de pourpre arboré au grand mât d’une des trières qui rallient. Ce pavillon ne vous dit rien, généraux et triérarques du Péloponèse; les stratèges athéniens savent quel secours leur est ainsi annoncé. C’est Alcibiade qui arrive, c’est l’heureux favori de la jeunesse d’Athènes et du sort qui apporte à toutes rames la victoire. Il était temps. Depuis le matin on combat, et le soleil est bien près de toucher l’horizon.

Les Péloponésiens s’enfuient vers Abydos ; les Athéniens se jugent de force à les y poursuivre. Il faut en finir avec la marine du Péloponèse. Cette marine aurait peut-être vu, en effet, son dernier jour, si Pharnabaze était aussi indolent ou aussi perfide que Tissapherne, mais Pharnabaze s’est précipité au secours de ses alliés. Il pousse son cheval dans la mer, aussi loin que le sable le peut porter : cavaliers, fantassins, excités par sa voix, animés par son exemple, se pressent autour de lui. Pharnabaze, dressé sur sa selle, le bras droit rejeté en arrière, cherche des yeux l’ennemi sur lequel il va darder sa javeline. Pendant ce temps, le fier coursier qu’il monte reçoit sans broncher le choc de la vague qui vient battre son poitrail. Brave cheval ! ou plutôt brave satrape ! Que Louis XIV n’a-t-il eu un pareil gouverneur à La Hougue ! Les embarcations anglaises n’y auraient pas brûlé nos vaisseaux. Les Péloponésiens ont repris courage; ils se rangent en bataille et combattent, fortement appuyés à la terre. La tempête, à son tour, prend parti pour eux ; le vent du nord s’élève. Il y aurait pour les Athéniens danger à insister; la flotte athénienne va reprendre son mouillage sur la côte d’Europe, emmenant pour trophée trente vaisseaux vides. Athènes avait déjà la journée de Cynosséma; l’année 410 donne une sœur à cette glorieuse journée. Abydos et Cynosséma se complètent.