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sonnels à ceux du pays, et à rentrer dans le rang comme simple général de division, après avoir commandé en chef et remporté des victoires. C’est un grand service que M. le général Pajol nous a rendu en nous faisant connaître cet homme aux vertus antiques, à un moment où s’agitent autour du pouvoir tant d’ambitions vulgaires, où les officiers de notre armée ont plus, que jamais à faire preuve d’une patriotique abnégation. L’Académie française a été de cet avis, puisque, sur le rapport d’un bon juge en ces matières, elle a décerné un de ses prix à l’auteur de cette publication. Comme c’est faire œuvre de bon citoyen que de signaler au pays un ouvrage de cette importance, on m’excusera en faveur de l’intention, si je me risque à aborder un sujet un peu étranger à mes études habituelles. J’aurai soin du reste de laisser le plus possible la parole à Kléber et de n’y mettre du mien que ce qu’il faudra pour relier entre eux les documens qui passeront sous les yeux du lecteur.


I.

Jean-Baptiste Kléber naquit à Strasbourg le 9 mars 1753. Son père, qui était tailleur de pierre et attaché à la maison du cardinal de Rohan, mourut dans la même année ; sa mère s’étant remariée quelque temps après, le cardinal prit l’enfant sous sa protection et en confia l’éducation à un curé du voisinage qui lui fit faire ses premières études. Comme le jeune Kléber avait montré de grandes dispositions pour les sciences exactes et le dessin, il fut envoyé par son protecteur à Munster d’abord, puis à Paris, pour étudier l’architecture. Revenu en Alsace après deux ans d’absence, il se lia avec des officiers bavarois qui le décidèrent à entrer à l’école militaire de Munich. Sa taille élevée, sa figure martiale, le firent remarquer par le prince de Kaunitz, qui le prit comme cadet dans le régiment dont il était propriétaire, alors en garnison à Mons (1776). Kléber parvint au grade de sous-lieutenant ; mais bientôt dégoûté d’un service dans lequel l’avancement n’était accordé qu’à la naissance, il donna sa démission et rentra à Strasbourg (1783). Nommé peu après inspecteur des bâtimens publics de la Haute-Alsace, avec Belfort pour résidence, il vécut de son métier d’architecte[1], en employant d’ailleurs ses loisirs à cultiver son esprit par la lecture des auteurs anciens et des philosophes contemporains dont il devint l’adepte convaincu.

Kléber avait trente-six ans quand éclata la révolution ; il en épousa

  1. Parmi les travaux qu’il fit exécuter, on cite le château de Grandvillars, l’hôpital de Thaun et la maison des chanoinesses de Massevaux.