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jamais dans ton armée. Trompé dans mon attente, je viens te déclarer que, dussé-je être arrêté, lié, garrotté et même guillotiné, je ne continuerai pas à commander tes quatre divisions de l’année du Rhin-et-Moselle. Veuille donc me faire remplacer sur-le-champ et me donner une autre destination. »


Un mouvement tournant opéré dans le Haut-Rhin par l’armée ennemie, commandée par Clairfayt, exposant l’armée française à être prise à revers, obligea celle-ci à se replier vers le Rhin, et même à repasser le fleuve. Les trois divisions Championnet, Bernadotte et Marceau, réunies sous les ordres de Kléber, se mirent en route pour Neuwied où devait s’effectuer le passage, qui ne s’opéra pas sans de grandes difficultés. Les chemins étaient horribles et les soldats avaient de la boue jusqu’aux genoux. On arriva néanmoins sans encombre à Neuwied ; mais par malheur Marceau, qui avait traversé le fleuve à Coblentz, fit incendier les bateaux qui se trouvaient sur la rive droite ; ceux-ci, entraînés par le fleuve, firent l’office de brûlots, et mirent le feu aux ponts, en coupant ainsi la retraite à Kléber. Dans cette situation périlleuse, celui-ci ne perdit pas son sang-froid et sauva l’armée d’un désastre. Voici comment il en rend compte à Jourdan :


« Neuwied, 19 octobre 1795.

« La débâcle est bientôt réparée ; au lieu de trouver de l’abattement, j’ai trouvé partout de l’énergie ; avec cela tous les revers seront bientôt réparés…

« Le soldat qui a reçu du pain est grandement disposé à se battre, et notre position étant excellente, nous n’avons absolument rien à craindre. Nous passerons le Rhin cette nuit, et je tiendrai la tête du pont autant que possible. L’infanterie de Marceau garde cette tête ainsi que ses îles. Marceau est au désespoir de cette aventure, mais bien décidé à la réparer, si l’ennemi osait se présenter. »


« 20 octobre 1795.

« Nous n’avons pas été inquiétés hier, nous n’avons fait qu’échanger quelques coups de pistolet, et l’ennemi a cru devoir nous respecter dans notre position. La retraite sur la rive gauche du Rhin s’est effectuée dans le meilleur ordre ; toutes les îles sont occupées, et chacun prendra, dans une heure ou deux, la position qui lui est prescrite. J’ai laissé dans la tête du pont une demi-brigade de Championnet et dix-neuf pièces de position que j’y ai trouvées de la division Marceau. Cette tête de pont n’est cependant pas à l’abri d’un coup de main. Les îles et les batteries de la rive gauche sont pareillement armées.

« P. S. — Ne penses-tu pas qu’un corps d’armée qui, poursuivi par