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forces que nous avons devant nous ne peuvent nous en imposer, dès que nous aurons réuni quelques moyens de transport, que le soldat n’aura plus à craindre la faim et le froid, nous irons soutenir les brillans exploits de l’armée du Rhin-et-Moselle, et prendre part aux événemens qui doivent nous donner une paix glorieuse, une paix qui nous fasse recueillir le fruit des travaux accomplis pour l’obtenir. »


Kléber s’imaginait que tout le monde était animé des mêmes sentimens patriotiques que lui, et pensait que ceux que leurs intrigues avaient conduits au pouvoir auraient quelque souci du bien-être des soldats qui se battaient pour la France et versaient leur sang sur les frontières. Il se trompait étrangement, le directoire donne bien l’ordre à l’armée de se porter en avant, mais il ne fit rien pour lui en assurer la possibilité. Il la laissa dans la plus grande pénurie, sans vêtemens, sans vivres, sans fourrages, sans solde, sans moyens de transport. Les soldats murmuraient ouvertement et désertaient en masse ; les officiers demandaient leur changement, et Kléber lui-même écrivait à Beurnonville : « Je vous prie de ne plus compter sur mes services, si l’on ne vient pas à notre secours, parce que je ne veux pas me déshonorer. » Vivement affecté des revers par lesquels s’était terminée la campagne de 1796, et surtout de la mort de Marceau, il demanda de nouveau au ministre, dès que l’armée eut repris ses quartiers d’hiver, d’accepter sa démission.


« J’ai reçu, lui écrit-il, citoyen ministre, votre lettre du 13. J’ai été on ne peut plus sensible à tout ce que vous avez bien voulu me dire d’obligeant. L’homme qui aime sincèrement ses devoirs, qui aime soi pays et le sert de tous ses moyens doit naturellement répondre à la confiance du gouvernement.

« Mon plus grand désir serait de pouvoir continuer à m’en rendre digne dans la carrière militaire ; mais ma santé ne me le permet pas. Sans cette circonstance, j’aurais pu me rendre à vos conseils et rester à l’armée, bravant même tous les désagrémens, tous les dégoûts dont on cherche à nous abreuver.

« Permettez donc que j’insiste dans ma demande, et que je vous prie de vouloir bien faire agréer ma démission au directoire exécutif.

« Le général Beurnonville est instruit de cette démarche.

« Je vous aurais volontiers parlé d’une retraite, d’une pension ; mais je n’ai ni l’âge, ni les années de service nécessaires pour avoir quelques droits à la gratitude nationale. En me livrant à une branche d’industrie quelconque, j’espère trouver de quoi vivre et rendre toujours, quoique dans une carrière différente, des services à ma patrie. »


Le gouvernement accepta enfin la démission donnée avec tant d’insistance ; mais, meilleur appréciateur que Kléber lui-même des