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l’inquiéter un peu, et la situation de la flotte ajoutait à ses préoccupations. Celle-ci en effet, malgré les ordres réitérés de Kléber, tenait toujours la mer, le tirant d’eau des bâtimens ne leur permettant pas d’entrer dans le port d’Alexandrie ; Brueys cependant s’était décidé à aller dans la rade d’Aboukir pour y décharger une partie de son matériel ; il y fut surpris par la flotte anglaise et perdit son escadre (1er août). Ce désastre laissait les Anglais maîtres de la Méditerranée et enlevait à l’armée d’Égypte tout espoir de secours de la part de la mère patrie ; il découvrait Alexandrie et l’exposait à un bombardement ; il surexcitait enfin les espérances des ennemis de la France qui de toute part relevaient la tête.

Kléber prit immédiatement les mesures que comportait la gravité des circonstances et organisa tout un système de défense le long des côtes, en utilisant les ressources de la marine qui avaient échappé à la destruction. Il lui fallait une grande force de caractère pour ne rien laisser paraître des angoisses qui l’étreignaient et que trahit sa correspondance, pendant qu’il était sans nouvelles de Bonaparte. Il écrit en effet à celui-ci à la date du 11 août :


« Les Anglais viendront nous bombarder dans nos ports ; ils entreront sans hésiter dans ces passes que notre marine trouvait dangereuses et impraticables… Nous avons ici une grande quantité de matelots ; je vais en former une légion. C’est le seul moyen d’amener ces hommes à l’esprit d’ordre et à la discipline. Je destinerai particulièrement cette légion à la traversée du lac entre Rosette et Aboukir.

« J’ai recours à tous les expédiens imaginables pour me procurer de l’argent. Je fais actuellement vendre du riz afin de subvenir aux dépenses du mois prochain… Il est vrai que si les Anglais bombardent le port, cette ressource sera détruite avec les autres.

« On m’annonce, général, qu’un aide de camp que vous m’aviez envoyé a été pris. Je ne sais où celle-ci vous trouvera et je suis encore à recevoir une lettre de vous depuis votre départ. Ma position cependant est extrêmement délicate ; je ne connais ni votre secret, ni vos vues ; et je dois agir comme si j’en étais instruit…

« J’ai sur votre santé, sur votre existence des inquiétudes que beaucoup de personnes partagent. Comment se peut-il, en effet, que depuis trente-cinq jours je n’aie pas reçu un mot de vous ?… Il court sur l’armée différens bruits que je cherche à détruire et qui cependant font quelque impression. Un mot de votre part ramènerait tout le monde, et votre présence, malgré nos malheurs, nous comblerait de joie. »


À cette lettre où le commandant d’Alexandrie exprimait ses inquiétudes, Bonaparte répondit : « L’expédition que nous avons