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le magnifique établissement dont les fondemens viennent d’être jetés. »

« Ainsi nous devons nous féliciter de ce départ, plutôt que de nous en affliger ; cependant le vide que l’absence de Bonaparte laisse dans l’armée et dans l’opinion est considérable. Comment le remplir ? En redoublant de zèle et d’activité, en allégeant par de communs efforts le pénible fardeau dont son successeur demeure chargé. Vous les devez ces efforts à votre patrie, vous les devez à votre propre gloire, vous les devez à l’estime et à l’affection que je vous ai voués. »


Kléber adressa ensuite une proclamation à l’armée, harangua les ulémas pour les tranquilliser et leur promettre de faire respecter la justice et la religion ; il ne perdit pas un instant pour organiser ses forces et pour se mettre en mesure de faire rentrer les impôts sans pressurer les populations. Dans ses rapports avec ses généraux, il était à la fois ferme et bienveillant, s’attachait à éviter de froisser leur susceptibilité, et, au lieu de leur faire sentir son autorité, il s’en faisait obéir en leur rappelant leurs devoirs et en faisant appel à leur dévouaient à la patrie. C’est ainsi qu’il écrit à Menou :


« On vous a monté la tête contre moi, mon cher Menou, ou vous êtes malade de zèle et d’envie de bien faire. Pensez, avant de vous déterminer, à tout ce que je vous ai dit de vive voix, puis alors seulement agissez. Il serait, ce me semble, aussi ridicule que vous quittassiez votre commandement, qu’il serait ridicule que deux hommes de notre âge, de notre caractère et façon de penser ne pussent vivre ensemble. »


À Desaix, qui demandait à rentrer en France, il répond :


« Le général Bonaparte, dans la dépêche qu’il m’a adressée avant son départ, me dit que l’intention du gouvernement était que vous vous rendissiez en Europe au mois de novembre, à moins de circonstances majeures. Cette circonstance existe, et le général Bonaparte ne pouvait l’ignorer. Ni l’armée, ni moi, ne pouvons être dupes d’une réticence. Ainsi, mon cher général, prenez votre parti et attachez votre fortune à celle de nous tous. Croyez au reste que je ferai tout ce qui dépendra de moi pour vous dédommager de ce que pourrait avoir pour vous de désagréable ma résolution de vous garder jusqu’à ce qu’au moins notre querelle soit vidée avec le premier ministre de la Sublime-Porte. »


Il montre également une grande perspicacité politique dans le jugement qu’il exprime, dans une lettre à Menou, sur les rapports des nations entre elles :


« Ce que vous me dites des intérêts de la Porte, à l’égard de la Russie est connu et senti de tout le monde ; mais quand les gouvernemens