Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assez obscures, avec ses réformes financières et politiques en projet, avec ses crises ministérielles toujours possibles dans un parlement diffus et incohérent. A quel propos Garibaldi a-t-il cru devoir quitter son île de Caprera pour s’en aller à Rome, pour se jeter de nouveau dans le conflit des partis? Quelle circonstance imprévue l’a rappelé sur la scène? Le vieux héros est passablement invalide pour commander des volontaires, pour prêcher la croisade en faveur de l’Italia irredenta. N’importe, il est arrivé à Rome sans être attendu.

Il a été naturellement bien reçu par tout le monde, par le roi lui-même. Cela ne l’a pas empêché de recevoir les ovations républicaines. Tout perclus qu’il soit, il a assisté à des réunions, il a fait des discours, et comme si le ministère de M. Depretis n’avait pas assez de difficulté à vivre simplement, à préparer des réformes plus modestes, Garibaldi lui a proposé un petit programme, le programme de la ligue démocratique. Il est bien simple ce programme, il se résume dans un petit nombre de choses : révision du statut, de façon à rétablir « l’équilibre entre les droits du pouvoir exécutif et les droits du pouvoir législatif, » abolition du culte officiel, suffrage universel, remaniement des impôts de manière à ce que « celui qui possède paie seul et progressivement » la nation armée pour la libération de l’Italia irredenta, guérison « de la plaie de la misère par les moyens qu’indique la science, » etc.; moyennant cela et bien d’autres choses, l’Italie a la chance d’être heureuse. Il est possible, à la vérité, que l’Italie ne soit pas de cet avis ; il est même possible que quelques-uns des plus anciens et des plus fidèles amis de Garibaldi, qui sont d’une opinion assez accentuée, s’arrêtent en chemin. M. Cairoli, malgré ses relations avec le vieux chef, a sagement cru devoir à sa loyauté envers le roi, à son ancien titre de président du conseil, de rester complètement en dehors de ces réunions et de ce petit tapage de manifestations; mais enfin c’est le programme de la politique nouvelle, l’évangile de la démocratie italienne selon Garibaldi, et le gouvernement est prévenu que, s’il cherchait à entraver la propagande de ces idées, il serait responsable des revendications qu’on pourrait se permettre, fût-ce à main armée.

On voit que rien n’est nouveau, ni le programme, ni les procédés. Et voilà comment le vieux héros est sorti de son île pour aller porter la bonne nouvelle à Rome, pour mettre en train le parlement et l’Italie! II rentrera un de ces jours à Caprera pour écrire des lettres en faveur de la candidature de Blanqui ou de tout autre. L’Italie, quant à elle, sait comment elle a conquis son indépendance et sa liberté, comment elle pourrait les perdre.


CH. DE MAZADE.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.