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de Novgorod, elle se trouvait en Suisse, d’où, pour être mieux à l’abri de toute menace d’extradition, elle est, croyons-nous, passée en Angleterre.

A la procédure peu correcte suivie dans cette romanesque affaire, l’autorité n’avait rien gagné. Le gouvernement impérial semble avoir senti lui-même qu’annuler le verdict d’acquittement des jurés c’était en réalité annuler le jury. Mieux valait renoncer à ces voies détournées et s’en prendre directement à l’institution même. Aussi bien, dans ce grave procès était-on mécontent de tout le monde; aux jurés on reprochait leur indépendance, à la défense sa liberté, au public sa partialité pour l’accusée, aux juges leur impartialité. Aussi n’y a-t-il pas à s’étonner si en haut lieu l’acquittement de Vêra Zasoulitch a été la condamnation du jury.

Un moment, on mit en avant les projets de restrictions les plus singuliers. Au ministère de la justice il fut question, dit-on, d’accorder au président et indirectement à l’accusation le droit de récuser les avocats. Du coup, la liberté de la défense eût été anéantie et toute la réforme judiciaire compromise avec elle. Le gouvernement impérial le comprit, et, cédant aux appréhensions de l’opinion et aux représentations de la presse, il a, croyons-nous, renoncé à ce bizarre projet. Au lieu de cela, on s’est borné à soustraire au jury la connaissance de toutes les causes qui pouvaient prêter à de pareils mécomptes. Un ukase du 9 mai 1878 a déféré temporairement à des cours spéciales les crimes et délits commis sur la personne des fonctionnaires publics pendant l’accomplissement de leurs fonctions ou en raison de leurs fonctions, « meurtre ou tentative de meurtre, blessures, mutilations et tous actes de violence, menaces ou clameurs[1]. » Du sommet au bas de l’échelle, les agens du pouvoir étaient ainsi placés en dehors du droit commun, tous les serviteurs de l’état se trouvaient mis en possession des garanties et privilèges jusque-là réservés au souverain.

Le législateur n’avait pas en effet attendu jusqu’en 1878 pour s’apercevoir qu’à l’égard de certains attentats le jury n’était point un sûr instrument de répression. La loi même qui instituait le jury dérobait aux tribunaux ordinaires la connaissance de tous les crimes contre l’empereur et contre la sûreté de l’empire.

Pour ces crimes d’état, on avait cru nécessaire de maintenir une juridiction aussi bien qu’une législation exceptionnelle. La composition de ces tribunaux d’exception variait suivant la gravité des cas. D’après les lois de 1864, ces crimes devaient être déférés aux cours de justice, statuant sans jury, mais complétées par l’adjonction de quelques délégués pris dans les diverses classes de la société,

  1. Décision du conseil de l’empire sanctionnée par l’empereur le 9 mai 1873.