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du 25 mars que le général Cremer, accompagné du bon Babick, conduisit devant le comité central les généraux Chanzy et de Langourian, enfin délivrés. Cremer rusa et fut habile, car on le soupçonnait déjà de s’être abouché avec Versailles, et il était question de le faire passer par les armes. Il put se dégager et emmener avec lui les deux généraux. Ceux-ci n’ont point oublié le spectacle inconcevable qu’ils eurent à supporter. Il était plus de minuit; au milieu de la fumée du tabac, sous la clarté des lampes, les hommes du comité, mal vêtus, mal peignés, ne ressemblaient guère à un tribunal suprême, jugeant nos plus illustres généraux. Épuisés par un travail qui les accablait d’autant plus qu’ils n’en avaient pas même une notion confuse, soutenant leur énergie défaillante par des verres de vin ou d’eau-de vie, sommeillans ou surexcités, ils ressemblaient à des spectres; écrasés de lassitude, ils avaient retiré leur cravate et plus d’un avait quitté ses chaussures. C’était hideux ; l’impression fut profonde, car elle subsiste encore chez ceux qui eurent à subir ce jugement dérisoire. A peine les généraux Chanzy, de Langourian et Cremer furent-ils partis que le comité central se repentit de ce qu’il appelait sa clémence intempestive. Là, pour la première fois peut-être, le mot otage fut officiellement prononcé. On se résolut à faire arrêter de nouveau le général Chanzy et le général de Langourian. Mais on ne savait où les prendre, et l’on ne put donner que des ordres sans précision qui exigeaient quelques recherches avant d’être exécutés. Babick, un peu fou, mais excellent homme, connaissait la retraite du général Chanzy; il y courut et donna un avis qui fut écouté. Le général Chanzy alla chercher le général de Langourian, et tous deux furent sauvés. C’est à Babick qu’ils doivent la liberté et peut-être la vie.

Le dimanche 26 mars, les votes étaient déposés dans les urnes d’où la commune allait sortir, comme le diable sortait jadis de la chaudière des sorciers. En attendant que les bulletins soient comptés, que la solennité imposante réclamée par Andignoux soit, selon le désir exprimé par Gouhier, prise sur le modèle de la fédération de l’immortelle révolution, le comité se prolonge et adopte des mesures militaires; il décrète la formation de vingt-cinq bataillons de marche, de vingt batteries de 7, de quinze batteries de mitrailleuses. Le général Duval organisera l’artillerie, le général Henry organisera l’infanterie, le général Bergeret organisera la cavalerie; le général Cluseret est chargé de l’administration générale; Gouhier, — le seul qui ne soit pas général, — est nommé au commandement des canonniers de la Seine. Ces officiers sont autorisés à recueillir contre des bons de réquisition tout ce dont ils auront besoin. Là apparaît pour la première fois un homme qui jouera son rôle pendant la commune, dont il ne sortira qu’avec la célébrité de