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girondins sont les pâles, et les montagnards sont les rouges. C’est l’humanité divisée entre deux castes de frères ennemis, dont l’une doit exterminer l’autre. Jean-Baptiste Millière envoie sa démission de député à l’assemblée nationale dans des termes qui ne sont pas beaucoup plus mesurés : il admire la population parisienne, il honnit les membres de la majorité et déclare que « Paris a été livré à l’ennemi par la plus infâme trahison dont l’histoire ait conservé le souvenir. » On ne sait quelle vieille rhétorique frelatée les obsède ; le 7 avril, la commission exécutive, composée de Cournet, Delescluze, Félix Pyat, Tridon, Vaillant, Vermorel, signe une proclamation dans laquelle on peut lire : « La violence de nos ennemis prouve leur faiblesse ; ils assassinent ; les républicains combattent. La république vaincra. » Cette dernière affirmation n’a étonné personne ; c’était prédire à coup sûr, et nous savions tous que la république vaincrait la commune ; mais il n’est point surprenant que le peuple de la fédération, surexcité outre mesure par ces objurgations, ces invectives et ces mensonges, ait cru faire acte de patriotisme en essayant d’égorger la patrie.

On ne s’employait pas seulement à troubler l’esprit de la population et à donner ainsi à cette guerre désespérante un caractère de cruauté exceptionnelle. On poussait la commune à prendre des mesures réellement inquisitoriales et à regarder de près au fond de toutes les consciences ; on demandait que les citoyens se dénonçassent eux-mêmes et s’exposassent à toutes les brutalités de l’arbitraire qui avait remplacé la loi. On eût voulu exiger en quelque sorte que chaque habitant de Paris fit une confession publique et prît la police de Raoul Rigault pour confidente de ses pensées les plus intimes. La pétition suivante, reproduite au Journal officiel de la commune, fut adressée à l’Hôtel de Ville : « Les soussignés, membres de la commission communale du 1er arrondissement, considérant que le vote à bulletin secret est immoral au premier chef ; qu’il ne peut y avoir de vraie démocratie et d’élections libres que là où les électeurs acceptent la responsabilité de leurs actes : émettent le vœu qu’aux prochaines élections, le vote nominal et à bulletin ouvert soit seul autorisé. Paris, le 13 avril 1871 ; signé : TOUSSAINT, WINAUT, TANGUY, SALLEE. » Je me hâte d’ajouter, à l’honneur des hommes de la commune, qu’ils ne prirent même pas cette proposition en considération, mais elle n’en est pas moins une preuve des excès auxquels certains esprits mal équilibrés, avides de notoriété et ambitieux, peuvent se laisser entraîner, lorsqu’ils ne sont pas contenus par la loi. Or c’est quand la loi est brisée ou reste sans effet que l’on s’aperçoit combien elle est utile pour maintenir et paralyser les mauvais instincts qui l’attaquent sans cesse ; elle disparue, ceux-ci ont toute licence pour se