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sera plus qu’une série de reculades et de cruautés. Ce fut dans cette même séance qu’emporté par son ressentiment, Delescluze a prononcé des paroles auxquelles sa mort a donné une sorte de consécration prophétique : « Croyez-vous donc, dit-il, que tout le monde approuve ce qui se fait ici? Eh bien, il y a des membres qui sont restés, et qui resteront jusqu’à la fin, malgré les insultes qu’on nous prodigue, et si nous ne triomphons pas, ils ne seront pas les derniers à se faire tuer soit aux remparts, soit ailleurs. » Ceci s’adressait à Félix Pyat, que l’on ne put retrouver parmi les morts.

La séance du 23 avril fut importante et provoqua une sorte de révolution de palais qui eut des conséquences graves, car elle entraîna Raoul Rigault à donner sa démission de délégué à la sûreté générale. Voulut-on éloigner Rigault de la préfecture de police qu’il gardait jalousement, et où il menait une existence scandaleuse? Voulut-on lui faire comprendre qu’il n’avait pas le droit d’interdire l’entrée des prisons et la visite des prisonniers aux membres de la commune? Je ne sais. Jules Vallès, qui, comme presque tous les écrivains, était bien plus violent dans ses paroles que dans ses actes, qui, appartenant à la minorité de la commune, penchait vers les idées socialistes, et ne subissait qu’avec peine la brutalité préconçue des jacobins et des hébertistes, Vallès proposa de reconnaître aux membres de la commune le droit de « visiter les prisons et tous les établissemens publics. » La motion fut adoptée à l’unanimité. Raoul Rigault était absent. Le lendemain 24 il accourut; il demanda avec hauteur à la commune de revenir sur le vote de la veille « au moins en ce qui concernait les individus au secret. » La commune se divise immédiatement en deux camps opposés. D’un côté, ceux qui veulent à tout prix maintenir ce qu’ils appellent les principes, — de l’autre ceux qui, n’ayant égard qu’aux circonstances, font abstraction desdits principes et ne tiennent compte que des nécessités du moment. La lutte fut ardente et comme toujours très confuse. Jourde, Amouroux, Billioray, Parisel, Vermorel, sont partisans de toutes les libertés, mais actuellement elles doivent être ajournées; il faut d’abord vaincre la réaction, ensuite on abolira le secret, mais en attendant il n’est que prudent de le maintenir. — Arthur Arnould, ordinairement si obscur et nuageux, est, cette fois, très précis. On a proclamé des principes, on a le devoir de les appliquer quand même : « Il y a quelque chose de bien fâcheux, dit-il ; c’est, quand on a tenu un drapeau toute sa vie, de changer la couleur de ce drapeau quand on arrive au pouvoir. Il en est toujours de même, dit-on, dans le public. Eh bien! nous, républicains démocrates-socialistes, nous ne devons pas nous servir de moyens dont se servaient les despotes. » Dans toute cette discussion,