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de l’état. Plus de ces pauvres diables qu’on enrôlait au prix de deux francs vingt-cinq centimes par mois! Les thètes et les métèques se seraient refusés à manier l’aviron, si on leur eût offert une paie inférieure à 13 francs 50 centimes. Brasidas et Pharnabaze avaient donc raison, lorsqu’ils s’écriaient : « Ne vous inquiétez pas des planches! » — Nos planches, à nous, coûtent 14 millions; qu’on veuille bien nous permettre de les ménager ! Aussi n’aurai-je de cesse que je n’aie fait prévaloir la pensée de compléter ces colosses par l’adjonction d’un menu fretin qu’on puisse exposer sans tant de scrupule. Le fond de tout mon travail est là.

« Chez Alcibiade, dit Plutarque, ce qui choquait le plus, c’était l’insolence et le luxe joints à la présomption ; dans Lysandre, c’était la dureté du caractère. » Cette rudesse impérieuse ne s’amollissait que devant les princes et devant les satrapes. « La Grèce, ajoute le précepteur de l’empereur Adrien, n’eût pas mieux supporté deux Lysandres que deux Alcibiades. » C’est pour cela peut-être que, ne pouvant opposer à l’Alcibiade d’Athènes un Lacédémonien qui eût autant de souplesse dans l’esprit, autant de charme insinuant dans les manières, il n’était pas sans avantage de le mettre aux prises avec un Lysandre. Ces deux natures félines ne portaient pas le même masque; elles n’en étaient pas moins faites pour se mesurer en champ clos. La grande supériorité de Lysandre sur son adversaire, dans le conflit qui allait s’engager, c’est que la question de solde ne le préoccupait plus; Alcibiade, au contraire, voyait toutes ses opérations entravées par cette difficulté constamment renaissante. Il lui fallait sans cesse songer à battre monnaie avec ses vaisseaux, disséminer sa flotte, se promener d’île en île et laisser souvent, pour courir à la recherche de quelque chétif tribut, ses plus belles victoires inachevées. Lysandre, au moment où Alcibiade quittait le Pirée pour ouvrir la campagne de l’année 407, n’avait plus seulement soixante-dix vaisseaux; il en possédait quatre-vingt-dix. Cette flotte, tirée à terre, se radoubait à loisir sur la plage d’Éphèse; les équipages se reposaient dans leur camp, enveloppé, selon la coutume, de palissades, lorsqu’un incident imprévu vint rompre la trêve qu’imposait encore aux deux partis la saison.

Les Athéniens avaient rétabli leur domination à Byzance ; l’Hellespont, d’une extrémité à l’autre et sur ses deux rives, reconnaissait de nouveau leurs lois. Il fallait maintenant s’occuper de raffermir les villes maritimes de l’Ionie et de la Carie dans les sentimens qui les inclinèrent, dès le jour de leur fondation, à chercher contre l’oppression des Perses l’appui des flottes athéniennes. Thrasybule vint de l’Hellespont mouiller devant Phocée; Alcibiade s’établit à Notium, près de Colophon, à portée d’Éphèse. Lysandre, à cette