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hoplite dont la mâle droiture a si bien déjoué les intrigues de Lysandre. Puissent les dieux lui demeurer jusqu’au bout favorables!


III.

Assiégé par terre et par mer, n’ayant aucun moyen de se procurer des vivres, Conon devait tôt ou tard succomber. La prise de Mytilène n’était plus qu’une affaire de temps, à moins que Mytilène ne fût secourue. Comment demander ces secours? Comment instruire Athènes du danger imminent que court sa flotte? Comment lui faire savoir que, si elle n’avise et n’avise promptement, la guerre peut se trouver terminée, à l’avantage imprévu de Sparte, d’un seul coup? Placés dans une situation aussi délicate et aussi périlleuse, bien peu d’amiraux, — je parle des plus habiles qu’on ait vus de nos jours, — auraient surpassé en industrieuse habileté le vieux Conon. On remplirait un volume des stratagèmes de guerre des anciens; toutes les ruses des modernes tiendraient dans quelques pages. Réfugié dans le port du nord, Conon avait tiré sa flotte à terre. Il fait choix de ses deux meilleurs vaisseaux et les lance, de nuit, silencieusement, avec les plus mystérieuses précautions, à la mer. Ces vaisseaux non-seulement demeurent collés au rivage, on prend soin de les dérober à la vue de l’ennemi en tendant devant eux des rideaux. Chaque jour ils reçoivent, avant le lever de l’aube, leurs équipages au grand complet; aucun homme n’est autorisé à paraître sur le pont; les épibates eux-mêmes se tiennent, avec les rameurs, à fond de cale. La nuit venue, chacun redescend à terre; les premières lueurs du matin blanchissent à peine l’horizon, que chacun retourne prendre son poste à bord. Quatre jours se passent ainsi; Conon épie le moment favorable. Le cinquième jour, une chaleur accablante règne dans la baie; l’ennemi s’est relâché de sa surveillance, les rondes sont mal faites, les vedettes se sont endormies. Conon donne le signal, les rideaux s’abattent, les deux trières s’élancent. L’une se dirige au large, l’autre vogue droit au nord et prend, le long de terre, la route de l’Hellespont. Quel tumulte dans le camp du Péloponèse ! On ne s’y attendait à rien de semblable. Les messagers se croisent, les aides de camp vont porter de côté et d’autre des ordres improvisés, ordres qui trop souvent se nuisent et se contrarient. D’eux-mêmes, les soldats ont couru aux armes, mais ce n’est pas en s’agitant ainsi sur le rivage qu’on réparera la négligence commise : « Montez sur les trières, sur les premières venues ! Ne cherchez pas votre vaisseau ! Tout vaisseau dont les bancs sont garnis peut partir, il n’y a pas