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remises en œuvre ; elles ont été taillées et remaniées jusqu’à ce qu’elles tombassent en poussière. Celles mêmes que l’usure n’a pas encore tout à fait émiettées ont perdu, dans tous ces changemens de place et de destination, la forme que leur avait imprimée le ciseau de l’ouvrier phénicien ou grec ; elles ressemblent à ces monnaies qui, pour avoir passé dans trop de mains, ne laissent plus distinguer ni type ni légende.

À défaut de la surface, l’intérieur du sol n’a pas pu ne point conserver, cachés sous un amas de débris, quelques restes des constructions antiques ; mais pour se reconnaître au milieu de ces décombres, il aurait fallu l’œil d’un architecte ou tout au moins le zèle et les scrupules d’un archéologue, qui se serait astreint à noter sur le terrain, heure par heure, les moindres circonstances de la fouille. Or ce ne sont ni des architectes ni des archéologues qui ont fait à Cypre les grandes fouilles et les belles découvertes ; ce sont des diplomates, c’est un banquier, c’est un général de cavalerie. Un seul architecte a visité l’île, M. Duthoit, le compagnon de M. de Vogüé, et sa chance l’a bien mal servi sur ce terrain où ses connaissances spéciales auraient pu rendre de si incomparables services. À Golgos, ses tranchées ont effleuré, sans qu’il en fût averti, l’aire d’un de ces vieux temples cypriotes, où les statues étaient couchées, auprès de leurs piédestaux encore en place, sous les ruines des murs et de la toiture. Un peu plus favorisé par la fortune, comme M. Duthoit nous aurait donné, sur la construction et sur le plan du sanctuaire de Golgos, des renseignemens bien autrement instructifs que ne l’a fait M. de Cesnola ! Pour celui-ci, les restes de cet édifice n’ont été qu’une mine à exploiter en toute hâte, pour y trouver des objets de collection et de vente.

La fouille ainsi comprise est brutale et destructrice ; elle s’enfonce dans le sol, elle rejette les terres à droite et à gauche sans s’inquiéter de ce qu’elles recouvrent en retombant à lourdes pelletées ; elle sacrifie tout à la conquête de la proie qu’elle poursuit. Tout autre est la fouille entreprise par l’architecte en vue de restituer un édifice que le temps a renversé sans en anéantir tous les élémens. Elle procède autrement ; elle ne rencontre pas une assise de pierre sans en relever la direction et sans en mesurer les dimensions, pas un fragment portant la trace du ciseau sans noter la profondeur à laquelle il est enfoui ; la moindre moulure est dessinée avec soin. La marche des travaux exige-t-elle l’enlèvement des matériaux amoncelés, l’explorateur ne laisse disparaître aucune couche de débris sans qu’un coup de crayon en ait marqué l’épaisseur et indiqué la nature.

S’il s’agit d’un monument gréco-romain, bien peu de chose suffit à l’architecte pour en déterminer le caractère, pour en re-