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plusieurs siècles l’élève industrieuse et l’active courtière, où elle a été chercher ces germes de civilisation qu’elle s’est chargée de répandre sur tous les rivages de la Méditerranée.

Les Grecs, au temps des guerres médiques, avaient la même impression. C’est ce que prouve un passage d’Eschyle sur lequel un savant hellène a récemment, fort à propos, appelé l’attention[1]. Dans les Suppliantes du grand poète athénien, les filles de Danaos, qui viennent de débarquer avec leur père sur la plage voisine de Mycènes, se présentent au roi Pélasgos, pour implorer sa protection. Celui-ci les interroge sur leur patrie. Comme descendantes d’Io, elles se disant d’origine argienne, assertion que semblent démentir leur costume et toute leur apparence. Le roi leur répond : « Vous ressemblez surtout à des femmes de Libye et non à celles de nos pays. C’est le Nil qui nourrit cette plante, et le style cypriote de vos parures féminines montre clairement que c’est par des hommes qu’elles ont été tissées. » La plante dont il est ici question ne peut être que le lotus ; une série de corolles épanouies et de boutons mi-clos avait fourni au tisserand ou brodeur un de ces motifs de bordure que nous offre si souvent la décoration égyptienne et dont l’art grec s’est emparé plus tard. Quant au tissage des étoffes par des mains viriles, c’était, comme nous l’attestent plusieurs textes anciens, un usage égyptien ; les Grecs l’avaient remarqué, non sans surprise ; chez eux, c’était aux femmes qu’étaient réservés de pareils travaux.

Ainsi, pour Eschyle et pour ces Athéniens du ve siècle avant notre ère auxquels il s’adressait, parler de style cypriote, Κύπριος χαραϰτήρ, ce n’est qu’une autre manière de dire style égyptisant, presque style égyptien. Des vêtemens tissés en Égypte ont un aspect, une physionomie cypriote. Eschyle ne fait point ici d’archéologie ; il prend la langue courante de son temps. Pour ces Athéniens dont beaucoup, comme matelots et comme hoplites, avaient servi avec Cimon dans les parages de Cypre ou en avaient, comme trafiquans, visité les ports et les cités, l’expression de style cypriote désignait les. procédés et le goût d’un art décoratif étroitement apparenté à celui de l’Égypte.


II.

Ce cachet égyptien dont portaient l’empreinte les étoffes que tissait la navette et que décorait l’aiguille de l’ouvrier cypriote, nous le retrouvons à Cypre, non moins net et moins marqué, dans

  1. M. Christos Pappayannakis dans la Gazette archéologique, 1877, pages 117-119.