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ressemblent et pourtant elles diffèrent l’une de l’autre ; il n’y en a pas deux qui soient tout à fait pareilles. Dans telle physionomie, M. de Cesnola signale une expression d’astuce et de ruse qui contraste, dit-il, avec l’air placide et le sourire débonnaire de la plupart de ces personnages ; tel autre visage a quelque chose de vieux et de renfrogné ; on en trouve enfin, parmi les monumens qui paraissent les moins anciens, dont l’intelligente et sévère dignité fait songer aux œuvres de la statuaire grecque.

Il y a donc un effort visible pour atteindre à la fidélité de l’image. Sans doute jamais l’expression de la vie individuelle n’atteint ici la même intensité que dans un buste grec ou florentin ; aucun de ces visages de pierre n’est de ceux qu’il est impossible d’oublier, ne les eût-on vus qu’une fois, tant l’originalité de la forme y révèle clairement celle de l’âme qui jadis anima ce corps et qui marqua cette physionomie de son empreinte. N’accusez d’ailleurs de cette insuffisance que le talent et non les intentions de ces artistes ; ce sont bien des portraits qu’ils ont voulu faire, de leur mieux et en toute sincérité. Ce que ces portraits représentent, on ne saurait le dire avec certitude ; phénomène étrange, toutes ces statues sont muettes. Ni à Dali, ni à Athiénau, pas d’inscriptions sur les piédestaux. L’attitude de la plupart de ces figures et les objets qu’elles portent en main ne peuvent nous laisser aucun doute sur leur caractère ; ce sont des adorateurs qui se présentent devant la divinité pour lui offrir leurs hommages. La richesse de leur costume et surtout la couronne dont est ceint leur front nous engagent même à y voir autre chose que de simples fidèles ; des couronnes semblables à celles-ci étaient l’insigne des grands sacerdoces de la Grèce, par exemple du dadouque et de l’hiérophante d’Éleusis. Nous reconnaîtrions donc dans ces personnages drapés la suite des grands prêtres du temple depuis l’époque où l’île dépendait de l’Égypte et de l’Assyrie jusqu’au temps des Romains. Ces fonctions sacerdotales étaient probablement héréditaires ; elles appartenaient à une famille sacrée, comme celle des Cinyrades, souvent mentionnés par les anciens, qui fournissaient le haut clergé de Paphos et de plusieurs autres sanctuaires de l’île ; il y avait aussi celle des Tamirades, dont on ignore le lieu de culte. Leur nom a fait conjecturer qu’ils prétendaient descendre de Tammuz-Adonis, comme les Cinyrades de Cinyras, dont les Grecs avaient fait plus tard un fils d’Apollon. Aussitôt entré en fonctions, chaque prêtre consacrait sa propre statue ; c’était là le meilleur, le plus sûr moyen de perpétuer à son profit le sacrifice et l’acte d’adoration, de rester toujours présent au souvenir de la divinité dont il avait été le serviteur.

Une observation de M. de Cesnola confirme cette conjecture ; il a