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mâle ou femelle de l’un de ces-couples divins en qui se décompose, pour les Sémites, l’unité de la substance et de la puissance divine. Notre attention devrait se porter sur les œuvres de la glyptique, et surtout sur la collection de pierres gravées qui faisait partie du trésor de Curium. Sans doute il est impossible de savoir lesquels de ces petits monumens ont été exécutés dans l’île même, lesquels apportés du dehors ; mais, tout au moins, par le fait même de leur réunion dans un seul dépôt, ils témoignent des habitudes et du goût qui régnaient dans l’île pendant le cours des siècles où la richesse et la piété des fidèles entassèrent ces objets dans les caves du temple. En classant ces scarabées, ces cylindres, ces entailles, ces bagues dont le chaton est ciselé pour servir de cachet, on sent par quels liens étroits Cypre tenait à l’Egypte et à la Syrie, et comme il fallut du temps pour que ces attaches, sans jamais se rompre, en vinssent à se relâcher et à se détendre.

L’examen des bijoux et de l’orfèvrerie, l’étude de la céramique cypriote, nous conduiraient à la même conclusion. Les vases provenant de l’île se comptent aujourd’hui par milliers dans le musée de New-York, par centaines dans toutes les grandes collections de l’Europe. Par leur couleur comme par les dessins qui les décorent et les formes qu’ils affectent, ils se distinguent à première vue des produits de toutes les autres fabriques du monde ancien. Ce qui s’en rapproche peut-être encore le plus, ce sont ces vieux vases du Mexique et du Pérou, qui étaient exposés l’année dernière au Trocadéro. Même ton de la pâte, terne et comme décoloré; mêmes dessins, losanges et chevrons, spirales et cercles concentriques ; même galbe d’une recherche naïve, où le modelé du vase imite tantôt certaines formes végétales, comme celle des fruits de la famille des courges, tantôt certains types empruntés au monde animal, celui d’un oiseau ou d’un quadrupède, du porc par exemple. Parfois même c’est à la figure humaine que le potier emprunte ses motifs; le col et la panse offrent alors, avec un relief plus ou moins accusé, une tête et une gorge de femme vues de face, avec quelques autres traits indiqués d’une manière conventionnelle.

Sans doute nous ne prétendons pas qu’il y ait identité; si l’on en venait au détail, on aurait plus d’une différence à signaler; mais, à tout prendre, la poterie cypriote diffère moins de ces antiques poteries américaines que d’un beau vase grec de Vulci ou de Nola. L’origine phénicienne de plusieurs des vases trouvés dans les tombes les plus anciennes de l’île nous est attestée par de courtes inscriptions en caractères phéniciens qu’y a tracées en noir, avant la cuisson, le roseau ou la pointe du pinceau ; ces textes se composent de trop peu de lettres et n’ont pas été transcrits avec assez de soin