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la distance à laquelle est censé se placer le spectateur ni les jeux de l’ombre et de la lumière sur une surface inégale et courbée. Comme sur les bords du Nil ou sur ceux du Tigre, un coloriage habile et franc déguisait partout à Cypre la blancheur un peu froide de la pierre employée par l’architecte et le sculpteur ; mais nous ne pouvons appeler des peintres les artisans qui venaient, une fois la statue terminée, étendre sur les draperies une couche de vert ou de bleu, relever les lèvres d’une touche de carmin, et, d’un coup de pinceau, faire saillir en noir la prunelle sur le globe de l’œil ; il ne fallait là que de la pratique et du métier.


III.

Pour ne pas fatiguer l’attention, nous avons dû, chemin faisant, négliger plus d’un groupe de monumens qui auraient peut-être mérité de nous retenir au passage. De cette étude, toute sommaire qu’elle soit, se dégagent pourtant, si nous ne nous trompons, les traits principaux, les lignes maîtresses de cette histoire, telle que nous permettent de nous la représenter aujourd’hui les monumens de la plastique, qui suppléent heureusement à l’insuffisance des textes écrits.

Lorsque les Phéniciens, se sentant manquer d’air et d’espace sur cette mince bande de terrain où leurs cités étaient serrées entre la montagne et la mer, commencèrent à tourner vers le large les proues hardies de leurs légers navires, les rivages de Cypre furent les premiers où ils abordèrent, après une traversée qui avait alors ses périls et ses émotions. Ce fut une première étape, le premier pas dans cette carrière d’entreprises et de découvertes maritimes qui finirent par conduire les vaisseaux phéniciens jusqu’au delà des colonnes d’Hercule, en plein Atlantique ; Kition fut le premier anneau de cette longue chaîne de comptoirs et de postes fortifiés qui rattachaient Tyr et Sidon à toutes les côtes de la Méditerranée, et même aux plages plus lointaines encore de l’Afrique et de l’Europe occidentales. Solidement établis dans l’île à une époque très ancienne, les Phéniciens n’ont jamais laissé s’interrompre un jour, pendant dix siècles et plus, ces relations constantes et familières ; des ports de la Syrie, il ne partait presque pas un navire à destination de l’Asie-Mineure, de la Grèce ou de l’Italie qui ne touchât aux ports de Cypre ; on s’y arrêtait de même au retour, avant de rentrer dans la patrie, on y complétait son fret en chargeant quelques tonnes de ce métal que les ateliers de la métropole employaient en si grande quantité. Pour les grandes villes industrielles et commerçantes du continent voisin, Kition, Amathonte, Paphos étaient