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Jagellon, comme on l’appelle depuis qu’il est chrétien et roi de Pologne, ne rencontre pas grande résistance; pour la Lithuanie, le temps était venu où les dieux s’en allaient tout seuls. Il fit entrer ses sujets par grandes troupes dans des ruisseaux où on les baptisait, en donnant un seul prénom à tous les hommes, un seul à toutes les femmes, et voilà de quelle façon la Lithuanie entra dans la communauté chrétienne. Quelques années après, Jagellon faisait grand-duc de Lithuanie son cousin Witowd, qui fut son fidèle lieutenant et allié. Pologne et Lithuanie formèrent comme un seul royaume dont les forces réunies se portèrent contre les teutoniques.

Point de doute que la grande guerre de l’année 1410 ait été une guerre de haine et de vengeance contre les Allemands. Witowd leur veut mal de mort et le dit tout haut. Ce prince, qui est obéi fort avant dans la plaine russe par des tribus russes ou tartares, semble plutôt un khan que le chef d’un peuple chrétien. Il veut jeter les teutoniques dans la Baltique et les y noyer. Quant au nouveau roi de Pologne, il va reprendre la vieille querelle au sujet de la Pomérellie. Les troubles qui s’annoncent dans l’état teutonique encouragent son ambition. Jagellon ne laisse passer par ses terres ni marchands, ni soldats pour la Prusse, et mille difficultés à chaque instant renouvelées précèdent et annoncent la lutte. Enfin, en juillet 1410, le roi et le grand-duc se donnent rendez-vous en Prusse, où ils font leur jonction. C’est une bataille de peuples qui va s’engager : à côté des Lithuaniens et des Polonais, des mercenaires de Bohême et d’autres pays, servent, dans l’armée de Jagellon, des Tartares, commandés par un khan, comme si l’Orient européen, menacé, entamé par la conquête allemande, se levait tout entier contre les Allemands. Les Tartares païens font la guerre sans merci, et se signalent par l’atrocité de leurs ravages. Jagellon maintient comme il peut la discipline : deux Lithuaniens, voleurs d’église, sont condamnés, selon la coutume du pays, à s’étrangler eux-mêmes. A l’approche de l’ennemi, les précautions redoublent : un conseil de guerre défend de dépasser l’avant-garde, commandée par le maréchal Zindrain, et de souffler du cor dans l’armée, où l’on ne doit entendre que le cor royal; la première sonnerie commande de se lever, la seconde de se mettre en selle, la troisième de marcher. Le 15 juillet au matin, dans sa marche vers Tannenberg, le roi de Pologne apprend qu’il a devant lui l’armée teutonique; il achève d’entendre la messe pendant que Zindrain et Witowd mettent l’armée en bataille, et rangent les Polonais sous cinquante bannières, les Lithuaniens, Ruthènes et Tartares, sous quarante; les bannières lithuaniennes portent l’image du cheval qui avait été jadis l’animal sacré des Lithuaniens; celles des Tartares, l’image