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déjà plus. La guerre dure pourtant treize années, sans actions d’éclat : guerre civile en même temps qu’étrangère, car, dans chaque ville, il y a des factions opposées. Les trois quartiers de Kœnigsberg se battent sur le fleuve qui les sépare ; à Danzig, les métiers de la ville nouvelle sont en guerre avec les patriciens de la vieille ville : les patriciens vainqueurs détruisent la ville nouvelle. La ligue accusait la lenteur des Polonais et s’impatientait de cette longue résistance des teutoniques et de leurs mercenaires; les chevaliers en effet ne se soutenaient qu’à l’aide de ces soldats recrutés dans tous les pays. A la fin, ne pouvant plus les payer, ils furent réduits à leur donner en gage même le château de Marienbourg. Quand ils y entrèrent, ces bandits, qui étaient hussites pour la plupart, s’en donnèrent à cœur joie. Ils pénétrèrent dans les cellules, coupèrent la longue barbe des vieux chevaliers qu’ils y trouvèrent et les chassèrent à coups de fouet dans le cimetière. Le grand maître s’enfuit en barque sur la Nogat et gagna Kœnigsberg, où le conseil de la ville, à qui il était demeuré fidèle, lui envoya en présent un tonneau de bière ! Les mercenaires livrèrent le château au roi Casimir qui vint y célébrer les fêtes de la Pentecôte.

Il fallut bien parler de paix quand la désolation fut telle dans ce pays autrefois si prospère que, du haut des murailles des villes, le regard, comme dit un contemporain, ne découvrait pas à l’horizon un arbre où l’on put attacher une vache. Même « les infidèles de Notre-Dame la Vierge Marie » se plaignaient au roi de Pologne de la misère où ils étaient plongés. Quand on s’aboucha pour négocier, l’ordre avait perdu la Pomérellie et les provinces occidentales. Une fois de plus les négociations montrèrent que l’état teutonique était ruiné par ses propres discordes, non par la force étrangère ; car dans le congrès qui se tint sur la Frische Nehrung, le débat fut entre les ennemis de l’ordre et ses partisans, non entre l’ordre et le roi. Baisen, partisan de celui-ci, discute avec Steinhaupt, bourgmestre de Kœnigsberg, qui est demeuré fidèle aux teutoniques. Il est curieux de voir comme ces frères ennemis cherchent péniblement le moyen de s’entendre, pour que la colonie allemande continue au moins à vivre sous un commun régime. Demeurons unis sous un maître, disait Baisen; le roi deviendra le protecteur et le suzerain de l’ordre, auquel il laissera une partie de ses possessions. Steinhaupt répondait que ceux qui avaient versé leur sang pour l’ordre ne se laisseraient point séparer de lui. Il avertissait les ligueurs de ne point trop se fier aux promesses du roi, qui n’en aurait plus cure, après que les chevaliers seraient dépossédés. Les ligueurs répliquaient en conseillant aux fidèles de l’ordre de ne point repousser le patronage du roi, attendu que le grand maître