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pourrait avoir besoin d’y recourir pour plier ses propres officiers à l’obéissance. On discuta longuement cette proposition : le roi de Pologne serait indemnisé des frais de guerre ; l’ordre garderait la souveraineté, mais recevrait une autre constitution, qui établirait l’égalité entre les colons et les chevaliers et donnerait aux premiers le droit de participer à l’élection du grand maître. L’état teutonique fût ainsi demeuré allemand, et c’eût été une heureuse conclusion de tant de misères, « car, disaient les partisans des teutoniques, il n’est pas bon d’être gouverné par des hommes qui ne sont point Allemands.» Cette évocation du nom de la mère patrie prouve que ces colons, qui délibéraient sur leur propre sort, comprenaient la gravité de ce qu’ils allaient faire. Ils hésitaient entre le patriotisme et l’amour de l’indépendance. Le dernier sentiment l’emporta. Quand on reprit à Thorn en 1466 les conférences, un moment interrompues, ce fut pour consacrer sous le nom de paix perpétuelle les résultats de la guerre de treize ans, c’est-à-dire la défaite de l’ordre et le partage du pays. Le roi de Pologne reçut en toute souveraineté le pays à l’ouest de la Vistule et de la Nogat, où se trouvaient Marienbourg, Elbing et Danzig, — le Culmerland, où étaient Thorn et Culm, — et l’Ermland, enfoncé comme un coin dans les provinces qui furent laissées à l’ordre, en qualité de fief polonais. Le traité disait que le grand maître, l’ordre et son territoire demeureraient unis au royaume de Pologne, de manière à former avec lui un seul corps, une seule famille, un seul peuple en amitié, amour et bonne entente; que le grand maître siégerait dans la diète polonaise, à la droite du roi, comme prince et conseiller de Pologne. Jamais texte de traité ne fut plus ironique que celui de cette paix perpétuelle : c’est en pleurant que le grand maître alla prêter le serment de fidélité à son roi, à l’hôtel de ville de Thorn.


IV.

Si l’on pense que le roi de Pologne a commencé les hostilités contre l’ordre en 1454, au moment où les Turcs venaient de planter le croissant sur l’église patriarcale de Sainte-Sophie, et que des chrétiens faisaient aux croisés teutoniques cette guerre sans merci, pendant que le pape Pie II promenait en Italie ses prédications impuissantes à soulever les princes et les peuples, on voit bien que les désastres de l’ordre et l’abandon où il est laissé sont un des signes nombreux de la fin du moyen âge : ne au temps où la chrétienté, forte et unie sous son chef spirituel, prend l’offensive contre l’infidèle, il tombe quand l’infidèle prévaut sur la chrétienté désunie