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Est-ce que cette liberté modérément appliquée, comme elle l’a été, comme elle l’est encore, n’a pas favorisé au contraire un immense développement de richesse ? Est-ce que cette épreuve que subissent l’industrie et le commerce du monde n’a pas une multitude d’autres causes, et les accidens imprévus, et les guerres incessantes, et les bouleversemens soudains d’intérêts, et les dépenses militaires démesurées ? L’Allemagne souffre dans son commerce et dans son industrie comme presque toutes les nations aujourd’hui ; l’opulence factice qu’elle s’est créée un moment par la guerre ne lui a pas profité : revenir à un régime de restrictions douanières, ce n’est pas un remède bien efficace pour elle, pas plus que ce n’est un remède pour d’autres, et, à vrai dire, ce n’est pas peut-être par de simples considérations économiques que M. de Bismarck s’est décidé à relever le drapeau du protectionnisme.

Le chancelier, dans ses combinaisons, peut assurément avoir tenu compte de l’intérêt économique, des conditions particulières de l’agriculture et de l’industrie ; il peut être fondé dans tout ce qu’il dit sur les diverses natures d’impôts, sur la nécessité de demander plus de ressources aux impôts indirects. Au fond, cela est bien clair, il a principalement obéi à une raison politique, il a vu surtout dans ce remaniement des douanes, dans le relèvement des tarifs, un moyen de constituer les finances de l’empire. Jusqu’ici l’empire n’a vécu réellement que de ce qu’on appelle la « contribution matriculaire, » c’est-à-dire le contingent financier assigné à chacun des états confédérés ; il n’a pas eu ses ressources propres, indépendantes et permanentes. C’est ce budget indépendant que M. de Bismarck a voulu créer : c’est un des ressorts de son système. Il a donné à l’Allemagne l’unité militaire, l’unité diplomatique, l’unité de représentation parlementaire. Il est toujours préoccupé de placer sous l’autorité directe de l’empire l’ensemble des chemins de fer. Les projets qu’il a présentés, qu’il défend aujourd’hui, en constituant le budget permanent de l’empire, sont un pas de plus dans la voie de l’unification, et c’est la raison de l’insistance qu’il met à faire accepter un système par lequel il croit compléter son œuvre, fonder définitivement l’autorité impériale. Réussira-t-il à obtenir du parlement la sanction des combinaisons qu’il propose ? Ce qui est certain, c’est que ses projets ont jeté quelque trouble dans les partis, et que son discours savamment préparé, peut-être aussi un peu embarrassé, n’a pas produit tout l’effet que produisent d’habitude les paroles du tout-puissant et impérieux chancelier. Ce qui est positif, c’est que si M. de Bismarck a trouvé des alliés inattendus dans le centre catholique, qui ne l’appuie sans doute que dans l’espoir d’un adoucissement de la politique religieuse, il a rencontré d’un autre côté, dès les premiers pas, des oppositions de diverse nature. Il a eu avec lui un des chefs des nationaux-libéraux, M. de Bennigsen, converti au protectionnisme ; il a