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individuellement, s’étaient rendus à Versailles, afin de reconnaître s’il n’y aurait pas lieu de faire une sérieuse tentative de conciliation. M. Thiers les accueillit avec courtoisie, approuva leur conduite, loua les efforts qu’ils faisaient pour mettre fin à la guerre civile, mais ajouta, — un peu ironiquement sans doute, — que c’était à la commune et non pas à lui qu’il fallait prêcher la paix ; que cette paix, il était prêt à l’accorder, aussitôt que l’insurrection aurait déposé les armes, fait acte de soumission et reconnu le gouvernement légal de la France. M. Thiers leur fit observer, en outre, qu’ils n’étaient munis d’aucun mandat régulier et qu’il les avait reçus parce qu’il ne se refusait de dire à personne quelles étaient ses intentions et sa ferme volonté. Les francs-maçons, qui s’étaient délégués eux-mêmes, revinrent un peu penauds et rendirent compte à leurs loges. Celles-ci convoquèrent les membres des ateliers pour nommer une commission qui définirait le mandat dont les délégués devaient être officiellement chargés. C’est alors que les T. C. F. de la commune interviennent et imposent un mandat impératif qui est accepté par les délégués dans la séance du 21 avril : « 1° Obtenir un armistice pour l’évacuation des villages bombardés ; 2° demander énergiquement à Versailles la paix basée sur le programme de la commune, le seul qui puisse amener la paix définitive. » En ne repoussant pas immédiatement ce mandat, les francs-maçons cessaient d’être des intermédiaires et devenaient les alliés de la commune. Il était facile d’obtenir la suspension d’armes spécialement réclamée pour Neuilly, car la Ligue d’union républicaine l’avait déjà demandée, et avait à cet égard reçu des promesses qui devinrent bientôt une réalité ; mais exiger que l’assemblée nationale adoptât « le programme de la commune, » c’était dépasser ce que le bon sens autorisait et ce que le patriotisme pouvait permettre. Les délégués purent s’en apercevoir à la réception que M. Thiers leur réservait.

Jamais homme d’état ne fut plus accablé de soins et de soucis que M. Thiers à ce moment. Il dirigeait tout, assumant sur sa tête avec une énergie juvénile la responsabilité du grand acte qui devait faire rentrer la France en possession de sa capitale. Non-seulement il menait l’œuvre d’ensemble, mais il n’était si mince détail qui ne l’occupât et dont il ne voulût être instruit. Ramener les prisonniers d’Allemagne, reconstituer l’armée, donner l’impulsion à tous les ministères, travailler directement avec les chefs de service, être en rapport constant avec la commission des quinze qui, législativement placée près de lui pour l’aider, ne faisait souvent qu’entraver son initiative et diminuer son pouvoir ; paraître incessamment devant une assemblée inquiète, impatiente, qu’il fallait calmer, gourmander, raffermir, exciter ou distraire ; écouter tous les faiseurs de projets,