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entretenir avec Paris insurgé des relations occultes, nourrir les troupes allemandes, activer les négociations pour la paix encore indécise, ne décourager aucune espérance et n’encourager aucune ambition, c’était un labeur effroyable sous lequel tout autre peut-être eût succombé et que ce frêle vieillard supporta avec une fermeté sans égale. Il eût été naturel qu’au milieu de ces préoccupations poignantes et multiples, avare de son temps dont chaque minute était précieuse, M. Thiers refusât de recevoir une délégation sans autorité, dont les propositions connues d’avance ne pouvaient être que repoussées. Il n’en fut rien ; sur la demande de M. Jules Simon, la députation d’un certain nombre d’ateliers de quelques loges de Paris fut admise, le 22 avril, quoiqu’elle se présentât une heure après le moment indiqué pour l’audience. M. Thiers écouta les observations qui lui furent faites, il ne sourcilla pas, même lorsqu’on lui proposa la paix à la condition d’accepter le programme de la commune ; puis avec une froideur voulue et calculée, car elle n’était guère dans ses habitudes un peu remuantes et souvent expansives, il répondit simplement qu’il avait pour premier devoir de défendre l’assemblée nationale envers et contre tous et qu’il saurait n’y point faillir.

Si les francs-maçons délégués étaient restés fidèles à leur devise pacifique, ils se le seraient tenu pour dit et en seraient restés là. Leur intervention toute fraternelle, tout humanitaire, déjà détournée de son principe par l’adoption du programme de la commune, avait échoué et ne pouvait aboutir à aucun résultat ; ils auraient dû le comprendre et ne point essayer d’entraîner la totalité de la franc-maçonnerie dans la guerre civile. Le 24, les délégués, irrités de l’accueil qu’ils avaient reçu, firent le récit de leur mésaventure et convoquèrent pour le 26 avril une assemblée plénière de tous les francs-maçons présens à Paris. C’est alors que la commune s’empare, non pas de la franc-maçonnerie, mais du groupe libre penseur et dissident qui s’arrogeait le droit de la représenter. Au-dessous de la convocation on lisait la déclaration suivante : « En présence du refus du gouvernement de Versailles d’accepter les franchises municipales de Paris, les francs-maçons réunis en assemblée générale protestent et déclarent que, pour obtenir ces franchises, ils emploieront, à partir de ce jour, tous les moyens qui sont en leur pouvoir. » Plusieurs délégués avaient sagement refusé de signer cette provocation, entre autres M. Ernest Hamel, le plus connu d’entre eux. Il pouvait convenir, en effet, à quelques hommes honorables d’intervenir dans une œuvre de conciliation, mais ils répudiaient énergiquement, par le seul fait de leur abstention, toute part, même indirecte, prise à la révolte.

L’affiche était à peine placardée que les protestations se produisirent de toutes parts, individuelles ou collectives. Un vénérable