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si le gouvernement s’appelle la commune ou le comité central ? »

Le feu est aux poudres ; à qui appartient le pouvoir ? Le comité de salut public est complice ; la commune n’est donc plus rien ! Le vrai, le seul maître d’une situation, c’est celui qui tient les cordons de la bourse ; or l’ordonnateur en chef, le dispensateur des finances exigées par la guerre, c’est le comité central. Donc trois pouvoirs en présence : le comité de salut public, la commune, le comité central ; ce dernier, représentant la fédération de la garde nationale, est en réalité commandant supérieur des forces militaires ; voilà, en outre, qu’il s’empare de l’action financière ; c’est une usurpation. Jourde n’est pas content, il lui déplaît d’obéir à la fédération ; nul n’ose dire le mot ; ils redoutent tous cette fédération d’où ils sont sortis par le 18 mars. Elle possède un pouvoir multiple qui s’exerce individuellement sur chaque bataillon, sur chaque corps franc, pouvoir d’autant plus à craindre qu’il est irresponsable. Avrial pousse des cris de désespoir, va-t-il donc voir revenir à la délégation ce comité d’artillerie qu’il a eu tant de peine à mettre à la porte ? Il a constaté, — un de ses ordres du jour en fait foi (16 mai), — que cinquante mille revolvers ont été indûment distribués aux officiers de la garde nationale. Plus nettement on pourrait dire que les arsenaux de l’état, comme les ministères, comme les caisses publiques, comme toutes les administrations, sont au pillage. Certes il y avait là de quoi mettre la commune de méchante humeur. Mais le comité central est vraiment sans pudeur ; il ne se contente pas seulement d’usurper la fonction, il usurpe le costume, et cela est impardonnable. Écoutez les lamentations du fleuriste Johannard : « Je demande qui a autorisé le comité central à se faire délivrer un costume spécial, des cachets spéciaux ? Ses membres vont plus loin, ils portent, comme nous, une rosette à la boutonnière. Il est vrai que les franges sont en argent ; mais pour le public il n’y a aucune différence entre eux et nous. Ils montent à cheval revêtus de leurs insignes, se présentent à la tête des bataillons, et on crie : « Vive la commune ! » Varlin se plaint à son tour d’avoir été supplanté à la commission militaire par des délégués du comité central. La commune sent bien qu’on lui inflige une sorte de déchéance ; elle redoute le comité de salut public, elle a peur du comité central ; elle voudrait bien faire quelque chose, car sa protestation stérile ne la satisfait guère. C’est dur de jouer au législateur, au ministre, au général en chef et d’être dépossédé par des acteurs plus nombreux qui poussent l’impudence jusqu’à revêtir le costume de l’emploi. Mais que faire ? Les idées sont peu abondantes, et les phrases sonores ne les remplacent pas. Après bien des discussions et bien des récriminations, l’incident est clos, et l’on reste Jean comme devant ; ahuri, incapable et consterné.