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tandis qu’il ne tarit pas en éloges sur le compte de Mme de Pailly. Racontant l’emploi de ses soirées à Mme de Rochefort, il termine ainsi : « Ma femme s’endort, et nous causons encore une heure, Mme de Pailly et moi, et quelque commensal ou survenant, ce qui nous mène à minuit, heure de la retraite. » La marquise ne put ignorer longtemps une liaison qui ne se cachait guère, et plus tard, séparée de son mari, elle se servit contre lui de cette faiblesse comme d’une arme presque aussi redoutable que les papiers infâmes dont il pouvait se servir contre elle.

Mme de Pailly ne fut certainement pas la cause de la rupture des deux époux, comme on l’a dit quelquefois. Ils se seraient brouillés et séparés sans elle, mais elle rendit plus difficile la situation du marquis. Celui-ci, au lieu de prendre, comme il en avait le droit, l’attitude d’un mari offensé qui demande justice, en fut réduit à se tenir sur la défensive. Dans la lutte engagée entre le mari et la femme, c’est le mari qui conserve des ménagemens ; c’est la femme qui essaie de déshonorer celui dont elle porte le nom, qui publie et fait publier contre lui par son propre fils des mémoires outrageans et qui remplit la France du scandale de ses démêlés domestiques. À coup sûr, la violence du tempérament y est pour beaucoup ; mais la femme serait moins audacieuse et le mari moins prudent si celui-ci n’avait rien à se reprocher. Parmi les accusations que la marquise portait contre son mari avec une exagération et une mauvaise foi manifestes, il y en avait une qui atteignait le marquis au point le plus sensible de son cœur. On ne nommait pas encore Mme de Pailly ; mais on pouvait un jour prononcer son nom, et en attendant on la menaçait à mots couverts. Mirabeau, le plus véhément des adversaires du marquis, la désignait effrontément au mépris public en écrivant que la place de sa mère était déjà remplie « par une de ces femmes intrigantes, séductrices dangereuses, qui, n’ayant point assez de vertus pour être mères de famille, ont assez d’adresse et d’impudence pour en usurper les droits. »

Le marquis, qui aimait à jouer au baron féodal et qui parlait volontiers de son « règne » dans les mémoires qu’il écrivait pour sa postérité, était au fond beaucoup moins hardi qu’il ne paraissait l’être. Poussé à bout, comme il le fut par son fils, il pouvait abuser de son autorité et remplacer la justice par la lettre de cachet ; il pouvait même, dans un accès de colère qui dépassait sa pensée, exprimer le désir de faire disparaître au fond de quelque oubliette, connue de lui seul et du souverain, ce fils incorrigible. Mais, au lieu d’habiter un donjon et de régner sur des vassaux, il vivait sous les regards implacables d’une société frondeuse, déjà pénétrée de l’esprit de la révolution et qu’il savait disposée à