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Henri vient une sorte d’éclipse : l’histoire n’a plus de traits précis, les caractères sont effacés, énigmatiques, la défiance et la trahison pénètrent partout. Des personnages ambigus, maréchaux sans armées, favoris sans services, ministres sans intelligence et sans vues, s’arrachent les lambeaux d’un pouvoir dont ils ne savent que faire. La nuit se fait sur la France, et l’historien est réduit à étudier comme des énigmes les événemens et les hommes. Rien ne reste de ces années ténébreuses qu’une multitude de pièces, de lettres, de pamphlets : c’est dans ces feuilles légères, si nombreuses alors et devenues aujourd’hui si rares, que se trouve la véritable histoire.

Des deux passions qui agitèrent la France après la mort, je veux dire l’ambition remuante des grands et l’exigence des églises, Rohan ne ressentit vivement que la seconde. Il était de nature sujet fidèle et ne se croyait le droit de prendre les armes contre le roi qu’au nom de sa foi. Autant on le voit hésitant et froid quand il ne s’agit que de servir les intérêts des princes, autant il est difficile, hautain et prêt à la révolte quand il s’agit des libertés religieuses.

Les guerres de religion, interrompues par un règne glorieux, ne recommencèrent qu’après les prises d’armes des grands inspirées par des passions et des convoitises assez vulgaires. Les épées une fois tirées des fourreaux n’y purent rentrer aisément. Les mouvemens des grands forment comme la préface naturelle des trois guerres de religion durant lesquelles Rohan eut le périlleux honneur de tenir tête à la royauté. Il semble que les réformés ne se jetèrent pas naturellement dans la guerre civile, qu’ils y furent poussés par le désordre des mœurs politiques, par les excitations incessantes de ceux qui se faisaient de toute chose un instrument d’ambition. Rohan et ses amis glissèrent en quelque sorte dans la guerre civile ; ils ne se mirent en révolte ouverte que lorsque la France était déjà déchirée par les factions et quand tout le monde eut donné l’exemple du mépris de l’autorité royale. Si les grands étaient toujours tentés de se servir des églises, comment les églises n’auraient-elles pas été tentées de se servir des grands ? Les seigneurs trouvaient une arme dans les garanties de l’édit de Nantes et quand ces garanties semblaient en péril, les ministres invoquaient le secours des seigneurs. Ainsi l’intérêt religieux et l’intérêt aristocratique, si différens dans leur essence, se trouvaient pourtant sans cesse rapprochés. Parlons d’abord des grands.

Parmi les acteurs qui montèrent sur la scène politique après la mort d’Henri IV, il en est deux qui méritent notre attention particulière : le duc de Bouillon et le prince de Condé. Bouillon pouvait être à ce moment considéré comme le chef militaire du parti