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Rohan, de Roucy, la Roche-Beaucourt, de Foucaut et moy, il y a encore moyen de concilier tout cela[1]. »

Un incident comme celui que nous venons de raconter est bien fait pour étonner ; il faut pourtant réfléchir que les religionnaires ayant des places de sûreté, le gouvernement municipal de ces places devenait pour eux un intérêt de premier ordre. La tenue des assemblées ne pouvait avoir lieu en pleine liberté si elles ne trouvaient des asiles inviolables. La couronne tentait sans cesse de reprendre d’une main ce qu’elle donnait de l’autre. Elle détestait ces assemblées nomades qui se réunissaient tantôt ici, tantôt là, et qui toujours avaient des plaintes ou des remontrances à faire. Synodes nationaux, synodes provinciaux, députés généraux, tout en protestant sans cesse de leur dévotion à la personne du roi, tenaient un langage où perçaient les ressentimens des grands et les pieuses colères des ministres. M. Du Plessis avait bien compris la gravité de l’affaire de Saint-Jean : « Je crains que la conséquence de cette affaire ne soit pas assez pesée… Je suis loin des affaires, mais si vois-je bien avec mes lunettes que si nous prenons plaisir à avoir du mal, nous n’en aurons que trop. » (Lettre à La Force, 17 septembre 1612.)

Rohan, après la petite émotion de l’affaire de Saint-Jean-d’Angely, avait été rétabli dans ses pensions et dans sa charge de colonel des Suisses. « Mais voyant qu’il ne pouvoit plus aller à la cour et qu’il ne faisait pas la fonction de sa charge (de colonel général des Suisses), que mesme il étoit mal payé des appointemens d’icelle, il vit bien que l’on l’obligeroit à s’en défaire. Il le fit volontairement et en voulut obliger M. le maréchal de Bassompierre[2]. »

L’affaire de Saint-Jean l’avait rendu tout-puissant dans la Saintonge ; il avait répandu à profusion la relation de ce qui s’était passé à Saumur : l’accommodement qu’il avait fait était tel, suivant le mot d’un historien du temps, que « la cour avait eu pour elle les apparences et Rohan la réalité. »

L’acharnement de Bouillon contre le vieux ministre d’Henri IV lui avait aliéné les cœurs ; en France comme au dehors, on commença à regarder Rohan comme le chef du parti protestant. Il écrivit à cette époque un « discours sur l’état de la France durant mes persécutions de Saint-Jean, » où il trace nettement le programme politique de son parti. Il s’élève contre l’alliance de la cour et de l’Espagne, contraire aux traditions et aux intérêts de la France ;

  1. Lettre de Sully à M. d’Hespérien, 29 octobre 1612. (Archives nationales.) Il y a aussi aux Archives nationales une lettre sur le même sujet, adressée au même, du 20 octobre 1612.
  2. Mémoire de la duchesse de Rohan. Fonds français. 15873. Bibliothèque nationale.