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siasme à tous les échos qu’on rencontre. C’est déjà trop peu de se défendre, on attaque. Et comme si c’était une loi de la nature humaine, le signe de son imperfection, la marque indélébile de sa perversité foncière, qu’on ne pût louer convenablement personne qu’aux dépens de quelqu’un, c’est au pire dommage de la littérature classique, de la littérature du xviie et du xviiie siècle que l’on poursuit depuis quelques années cette glorification systématique de la littérature et de la langue du moyen âge.

Il est incroyable, en effet, de quel style tous ces chaleureux avocats de la barbarie littéraire traitent aujourd’hui Boileau pour avoir osé, dans un passage connu de son Art poétique, ne faire dater que de Villon les premières origines de la littérature française. Ici, dans le camp néo-catholique, c’est le savant auteur du gros livre sur les Épopées françaises qui ne craint pas, dit-il, « de trop s’irriter contre un Boileau pour avoir osé prétendre qu’entre tous les êtres Dieu seul n’est pas poétique, » comme si l’on pouvait admettre, ajoute-t-il pédantesquement, que les créatures fussent poétiques et que le Créateur ne le fût pas ! Là, dans un camp tout opposé, c’est un récent éditeur du Roman de la Rose déclarant à pleine bouche « qu’au temps de ses auteurs, — le subtil Guillaume de Lorris et le très fameux Jehan de Meung, — on ne faisait pas sa fortune, comme au temps de Boileau, avec une plate épître au plus flagorné des rois, » et proclamant là-dessus, avec une juvénile assurance, « que ce maître ès arts n’atteint, ni comme poète, ni comme satirique, à la cheville de ses deux romanciers. » Remarquez, je vous prie, que sous le nom du seul Boileau, ce vrai modèle, s’il en fut, du bon sens critique et de la probité littéraire, c’est bien le siècle tout entier que l’on entend mettre en cause. « Le théâtre de ces deux grands hommes, dit en parlant de Corneille et de Racine l’auteur d’un petit livre ennuyeux sur le Drame chrétien, est beau malgré sa forme et non à cause d’elle… La tragédie française demeura toujours un exercice de rhétorique, une amplification plus ou moins ingénieuse. » Voilà qui est désormais entendu : le Cid est un exercice de rhétorique, et Phèdre une amplification plus ou moins ingénieuse. Mais le Mystère de la Passion, d’Arnould Gréban, sans doute voilà le drame, le drame image de la vie, le drame tiré des entrailles de la réalité ? — C’en est assez pour indiquer la tendance. Il n’en est pas de plus fâcheuse, ni qui mette à plus brève échéance en péril plus certain les plus rares qualités de l’esprit français. Évidemment ceux qui tiennent un tel langage, qui seraient à peine excusables de le laisser échapper dans le hasard d’une improvisation et qui cependant, comme pour l’aggraver encore, le reprennent à loisir dans les pages laborieuse-