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ment méditées du livre, n’ont rien compris, il faut le leur dire une bonne fois, rien senti, rien soupçonné de cette littérature classique dont ils s’instituent, non pas même les juges sévères, mais les exécuteurs. Quelques rares beautés de détail dans cette vaste littérature du moyen-âge les éblouissent et les aveuglent. Ils n’ont plus d’yeux pour les défauts, et ils ne voient pas que de cette abondance de production qu’ils vantent, le vrai nom est stérilité. Mais au contraire, s’ils s’élevaient un peu au-dessus de leurs habitudes et de leurs préjugés d’érudits, s’ils savaient voir les choses à leur vraie place et sous leur vrai jour, surtout s’ils avaient le courage de sacrifier un peu de l’importance factice qu’ils attachent à leurs travaux, ils parleraient d’autre sorte. Sans doute il est louable d’avoir pâli consciencieusement sur d’antiques parchemins et d’avoir usé sa vue sur l’illisible. Rien de plus ordinaire à chacun de nous, malheureusement, que d’estimer au-delà du juste prix l’objet de ses études. Il est naturel d’ailleurs qu’on ne veuille pas avoir inutilement dépensé son temps, sa peine et son enthousiasme. Ce n’est pas une raison cependant de prétendre imposer à tous les nez les lunettes grossissantes de l’érudition. Ce n’est pas une raison de venir brouiller l’histoire, de dénaturer les rapports exacts des choses et de déplacer, encore une fois, par un coup de force, le centre d’une grande littérature. Ce n’est pas une raison enfin de prétendre à réformer les jugemens consacrés, d’enseigner que la renaissance aurait fourvoyé l’esprit français dans sa route, que les écrivains du xvie siècle auraient interrompu « tyranniquement » le développement naturel de la langue, de telle sorte en vérité que depuis trois cents ans notre admiration pour la renaissance aurait vécu sur un mot et d’une duperie. Tandis qu’il est aisé de démontrer que la littérature du moyen âge n’avait rien en soi d’une grande littérature, — qu’elle était morte, comme la scolastique et comme l’art gothique, lorsque la renaissance est venue renouveler l’esprit humain, — et qu’enfin, bien loin d’avoir donné « l’exemple d’une ingratitude scandaleuse envers nos antiquités nationales, le xviie et le xviiie siècle en ont sauvé tout ce qui méritait vraiment d’en être sauvé.


II.

On peut regretter, mais on ne saurait nier que nos ancêtres aient parlé, du xe au xvie siècle, la langue la plus barbare, rude comme leurs mœurs et grossière comme leurs appétits. Elle a manqué de toutes les qualités qui sont la richesse d’une langue et la splendeur d’un idiome. Ces beaux mots, si chers aux poètes, ces mots qu’ils aiment à sertir dans leurs vers comme on ferait dans l’or pur une