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coins, le terrain où Léonard, Michel-Ange, Raphaël devaient récolter de si riches moissons. On peut suivre, au quai Malaquais, presque tous ces efforts indiqués dans des pièces bien choisies. Masaccio, il est vrai, et c’est regrettable, manque dans la série ; mais Fra Angelico s’y révèle avec de discrètes études d’Evangélistes et d’Anges dans toute l’exquise fraîcheur de son âme. Nul ne regarda les créatures vivantes d’un œil plus sincère, ni d’un cœur plus aimant. Ses croquis sont ceux d’un miniaturiste, fins et nets, légèrement posés sur des papiers à teintes tendres, comme le seront ses fresques sur les parois azurées des cellules de Saint-Marc. Des contours minces et précis, peu ou point de hachures, presque pas de modelés, çà et là seulement quelques rehauts de blanc délicatement jetés, c’est tout et c’est charmant. Un demi-siècle après, en plein triomphe de la science pittoresque, les Florentins fidèles, les plus purs, les plus graves, se contenteront encore de cette façon honnête et modeste de dessiner. Il n’en faut pas plus à Lorenzo di Credi pour animer d’une vie intense ses portraits, si légers à la fois et si profonds, de vieillards pensifs et de naïfs adolescens où l’intelligence illumine et ennoblit les linéamens souvent épais de la physionomie locale. Il n’en faut guère plus à Fra Filippo Lippi, ni à son fils Filippino, pour faire vivre leurs délicieuses figurines, ni même à cet audacieux et magnifique Signorelli pour tordre, sur le papier, les corps musculeux de ses damnés. Avec Botticelli, le dessin s’affine et se complique ; le crayon est souvent laissé pour la plume dont l’accent est plus vif ; mais, chez lui, ce travail de la plume n’est qu’un prétexte à un second travail précieux de lavage au bistre et de rehauts à la gouache qui font de ses études des œuvres d’art spéciales et complètes. La svelte figure de l’Abondance, étude pour le beau tableau qui vient de passer de la galerie Reiset dans la galerie d’Aumale, révèle tout entier ce génie, subtil et profond, chez qui la recherche semble si naturelle qu’elle n’enlève rien aux charmes de sa grâce incomparable et de son étonnante tendresse.

À côté de lui, presque tous ses contemporains saisissent aussi la plume et le pinceau de bistre, qui sont désormais les instrumens habituels des dessinateurs italiens pour leurs projets et esquisses. Quelques-uns s’en tiennent même à la plume qui donne au dessin une force et une franchise incomparables. La plume n’a pas le droit d’hésiter et ne peut cacher ses repentirs ; c’est l’arme des forts. C’est l’arme du grand Donatello, qui la manie, le premier, avec une hardiesse qu’on ne dépassera guère, c’est l’arme de Verocchio, qui s’en sert en orfèvre, avec moins de majesté, mais avec une vivacité savante, ce sera enfin l’arme terrible du grand Michel-Ange qui réunit en lui toutes les puissances du génie florentin devenu le génie universel. Les dessins de Buonarotti forment un des panneaux les plus curieux de l’exposition ; et, parmi eux, les deux feuilles d’étude à la plume pour une Sainte famille et pour la Vérité