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Qu’est-il arrivé de cette affaire de l’élection de M. Blanqui à Bordeaux, qui se rattache, elle aussi, à l’amnistie ? Au premier aspect, il n’y avait et il n’y a encore rien de plus simple. M. Blanqui est un insurgé de profession et de vocation, de tous les temps et de tous les régimes. Par sa, position de condamné, il est légalement inéligible. C’est clair et évident. L’élection de Bordeaux est virtuellement nulle. La chambre elle-même, qui n’est souveraine que dans la mesure de ses pouvoirs constitutionnels, la chambre, par un acte qui lui serait propre, ne pourrait sans usurpation se mettre au-dessus de la loi. Le gouvernement n’a point hésité à le déclarer lorsqu’il a été interrogé ; une commission parlementaire qui vient de déposer son rapport est tout aussi nette que le ministère sur la nullité de l’élection de Bordeaux. Tout cela ne fait pas un doute ; mais la question n’est plus là : on lui a laissé le temps de grossir et de s’envenimer. La question est aujourd’hui de savoir si le gouvernement se laissera arracher, avant le 5 juin, en faveur du prisonnier de Clairvaux, une grâce qui serait Une amnistie et qui rendrait à M. Blanqui le droit d’éligibilité après une première invalidation. Ici encore sans doute M. le garde des sceaux s’est prononcé assez énergiquement ; il a décliné la pression qu’on voulait faire peser sur lui, il a refusé de s’expliquer. Il ne paraît pas cependant avoir découragé les espérances de ceux qu’il appelait un jour les « amnistieurs de profession ; » il faut bien qu’il n’ait découragé personne, puisqu’une interpellation nouvelle qui devait lui être adressée a été retirée avec l’intention évidente de laisser au gouvernement une certaine apparence de liberté, et que toutes les influences se sont remises en mouvement. On a si bien fait qu’une simple affaire de légalité électorale est devenue une affaire toute politique et que l’importance donnée à cette résurrection du nom de M. Blanqui au moment présent ressemble à un symptôme. Si le ministère finit par céder à la dernière extrémité, s’il rend les armes devant M. Blanqui avant de les rendre devant d’autres, pourquoi n’avoir pas commencé par là ? Pourquoi n’avoir pas accepté tout simplement l’amnistie générale ? Si, dans le sentiment de son droit et de sa responsabilité, par un conseil de prévoyance, il résiste jusqu’au bout, il se sera préparé des difficultés nouvelles, et c’est ainsi que, faute d’un peu de volonté au service d’une idée nette, on laisse les complications grandir. On n’a ni là force éphémère, mais redoutable, d’une politique ouvertement révolutionnaire, ni l’autorité bienfaisante d’une politique justement, libéralement conservatrice.

L’Académie française n’est pas un parlement ; mais elle a comme les parlemens ses émotions et ses troubles où la politique a souvent aussi son rôle, L’Académie, il est vrai, ne devrait connaître la politique que par ce qu’elle a de plus élevé, de plus impartial, de plus incontesté.