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dans l’ancien régime, qu’un fonctionnaire n’est responsable que de ce qu’il fait, et non point de l’origine, ni des actes du gouvernement. Le sentiment de la solidarité n’existe pas dans les monarchies absolues. Le régime parlementaire nous a rendus heureusement plus délicats, et les honnêtes gens admettent qu’une responsabilité collective existe entre tous les agens d’un pouvoir. On ne saurait servir qu’un gouvernement dont on approuve la tendance et la politique générale. Il en était tout autrement en ce temps-là, et voici comment mon père, plus libre que personne d’être difficile en ces matières, et qui devait peut-être quelque peu de son exquise délicatesse politique à la situation difficile où il avait vu ses parens dans son enfance, entre leurs impressions et leurs devoirs officiels, voici, dis-je, comment il a expliqué ces nuances dans une lettre inédite, écrite par lui à M. Sainte-Beuve auquel il voulait donner quelques détails biographiques pour une étude de la Revue des Deux Mondes :

« Ce ne fut point par pis-aller, nécessité, faiblesse, tentation ou expédient provisoire que mes parens s’attachèrent au nouveau régime. Ce fut librement et avec confiance qu’ils crurent lier leur fortune à la sienne. Si vous y ajoutez tous les agrémens d’une position facile et en évidence, au sortir d’un état de gêne ou d’obscurité, la curiosité et l’amusement de cette cour d’une nouvelle sorte, enfin l’intérêt incomparable du spectacle d’un homme comme l’empereur, à une époque où il était irréprochable, jeune et encore aimable, vous concevrez aisément l’attrait qui fît oublier à mes parens ce que cette nouvelle situation pouvait avoir au fond de peu conforme à leurs goûts, à leur raison, et même à leurs vrais intérêts. Au bout de deux ou trois ans, ils connurent bien qu’une cour est toujours une cour, et que tout n’est pas plaisir dans le service personnel d’un maître absolu, lors même qu’il plaît et qu’il éblouit. Mais cela n’empêcha pas que pendant assez longtemps ils ne fussent satisfaits de leur sort. Ma mère surtout s’amusait extrêmement de ce qu’elle voyait ; ses rapports étaient doux avec l’impératrice, dont la bonté était extrêmement gracieuse, et elle s’exaltait sur l’empereur, qui d’ailleurs la distinguait. Elle était à peu près la seule femme avec qui il causât. Ma mère disait quelquefois à la fin de l’empire :

« Va, je t’ai trop aimé pour ne te point haïr ! »


Les impressions que la nouvelle, dame du palais recevait de la nouvelle cour ne nous sont pas parvenues. On se défiait fort de la discrétion de la-poste ; Mn, e de Vergennes brûlait toutes les lettres de sa fille, et la correspondance de celle-ci avec son mari ne