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nous ; n’est-ce pas que nous sommes bien logés ? » — Lorsqu’il leur fallut déguerpir, ils brûlèrent le palais, en haine du taudis où ils allaient retourner. C’est à ce misérable sentiment qu’obéissait Raoul Rigault, lorsqu’il faisait meubler pour lui trois pièces dépendant de la cour de cassation, et son envieuse vanité a dû singulièrement jouir, quand il se réveillait sous les soffites d’un plafond très orné.

Tant qu’il n’eut qu’à opérer des saisies dans les ministères, à rechercher les bijoux de la princesse Mathilde, à faire jeter bas la maison de M. Thiers, à meubler les appartemens de Raoul Rigault, Jules Fontaine dut estimer que ses fonctions étaient de facile exercice ; mais au titre de directeur des domaines il ajoutait celui de directeur du timbre, et en cette dernière qualité, il eut quelques difficultés à vaincre. La pénurie de la commune, je le répète, était excessive, car toute source de revenus était tarie par le dévergondage de son administration. En outre, l’état de guerre, pour ne pas dire de brigandage, qu’elle entretenait, anéantissait forcément toutes les ressources dont un gouvernement normal aurait pu disposer. L’impôt n’était plus payé, nulle contribution ne rentrait, et, comme les dépenses augmentaient toujours avec la bataille qui ne cessait plus, avec le goût de l’ivrognerie qui se développait dans d’incompréhensibles proportions, on frappait à toutes les caisses pour en tirer quelque petit écu. Harcelé par des demandes d’argent auxquelles il ne pouvait guère répondre qu’en montrant ses tiroirs vides, Fontaine imagina d’entamer une négociation avec les compagnies de chemins de fer afin de les contraindre à n’employer pour leurs récépissés que le nouveau timbre de la commune. La prétention était excessive et absolument insoutenable. D’une part, les compagnies étaient réduites au repos forcé, les locomotives étaient sous le hangar, les wagons restaient immobiles, et la gare marchande était déserte. S’il y avait encore transport de voyageurs et de marchandises, on ne s’en apercevait qu’en province, et Paris n’en savait plus rien. D’autre part, les compagnies avaient un stock énorme de récépissés timbrés, il était de leur intérêt de les écouler avant de s’en procurer de nouveaux. C’est ce que l’on répondit à Fontaine lorsqu’il fit connaître ses exigences aux compagnies. Celles-ci, dont on avait déjà visité les caisses, dont on occupait militairement les gares, dont on molestait les employés et qui se sentaient menacées de confiscation immédiate, celles-ci firent la sourde oreille, parurent ne pas comprendre la proposition peu déguisée qui leur était faite, et ripostèrent qu’en utilisant leur provision de timbres, elles ne faisaient qu’user d’un droit que la loi leur reconnaissait. La question paraissait fort grave à Jules Fontaine, qui se mit à faire des calculs de proportion et rédigea un rapport